Le déclin neurocognitif lié à l’âge peut avoir un impact majeur sur la qualité de vie des personnes âgées. Et pourtant, le cerveau adulte conserve une capacité remarquable à apprendre et à se transformer ; ces transformations pourraient réduire l’impact du vieillissement cérébral. La pratique d’activités musicales, comme le chant, pourrait avoir un impact sur le cerveau et, par conséquent, pourrait atténuer dans une certaine mesure le déclin cognitif lié à l’âge. Mais est-ce le cas de la pratique du chant de niveau amateur ? Quels aspects de la cognition peuvent être influencés par le chant ? Et quel est le mécanisme derrière ces effets ?

Une étude menée par une doctorant du laboratoire, Xiyue Zhang, récemment publiée dans le Journal of Cognitive Neuroscience, a exploré pour la première fois l’effet du chant amateur sur l’activité cérébrale au repos et l’attention auditive. Peut-être vous demandez-vous pourquoi nous nous intéressons au chant ? Le chant est un comportement à multiples facettes qui nécessite un contrôle moteur fin des lèvres, de la langue, des plis vocaux et du système respiratoire, la surveillance constante des rétroactions auditives pour ajuster la performance en effectuant des ajustements sensori-moteurs précis durant le chant. Le chant nécessite en outre un accès aux réseaux cérébraux soutenant la parole et langage pour articuler les paroles des chançons, et engage notre attention, non seulement pour surveiller notre performance ainsi que celle des autres membres de la chorale, mais aussi pour suivre les directives du chef de chœur. En raison de cette complexité, les réseaux auditifs, de parole, de langage et d’attention sont sollicités pendant le chant.

Dans notre étude, 84 participants âgés de 20 à 87 ans ont été recrutés. Il s’agissait de francophones québécois, droitiers, sans antécédents de troubles de l’audition, de la parole, du langage, ou de troubles psychologiques, neurologiques ou neurodégénératifs. 41 personnes participantes chantaient dans une chorale chaque semaine depuis au moins deux ans. Les 43 autres personnes participantes ne pratiquaient aucune activité musicale de façon régulière. Les deux groupes étaient comparables en termes d’âge, de scolarité, de nombre de langues parlées, d’audition et de fonctionnement cognitif . Ils ne différaient qu’en termes de chant.

Les participants ont visité notre laboratoire à deux reprises. Lors de la première visite, ils ont effectué le Test of Attention in Listening (TAiL) qui mesure l’attention auditive. Le TAiL comprend trois tâches. La première tâche évalue la capacité des participants à détecter les signaux auditifs. La deuxième tâche évalue la capacité à distinguer deux sons en fonction de leur hauteur (aigu, grave) en ignorant leur localisation spatiale (oreille gauche, oreille droite). La troisième tâche évalue la capacité à distinguer la localisation spatiale des sons en ignorant leur hauteur. Dans les deux tâches, l’attention de la personne est orientée vers la dimension pertinente pour la tâche (hauteur, localisation spatiale). Les personnes peuvent néanmoins être distraites par l’autre dimension. Lorsque les deux dimensions sont identiques (même tonalité, même oreille) ou différentes (tonalités différentes, oreilles différentes), les participants obtiennent généralement de meilleurs résultats. Lorsque les deux sons sont identiques dans une dimension et différents dans l’autre (par exemple, deux sons de hauteurs différentes présentés dans la même oreille), les participants obtiennent généralement de moins bons résultats.

Lors de la deuxième visite, nous avons recueilli des images par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) au repos, un type d’imagerie qui nous permet d’étudier l’activité cérébrale de base. Nous avons ensuite utilisé une approche appelée « connectivité fonctionnelle basée sur les régions » pour mesurer la corrélation temporelle (c’est-à-dire la corrélation dans le temps entre les signaux de différentes régions du cerveau) entre un ensemble de régions cérébrales et le reste du cerveau. Cette approche peut révéler de vastes réseaux de régions cérébrales co-activées au repos. Nous avons examiné cinq réseaux au repos qui sont importants pour le chant : le réseau du langage, le réseau de la parole, le réseau auditif, le réseau de l’attention dorsale (DAN) et le réseau du mode par défaut (DMN). DMN est le plus étudié dans les études sur l’état de repos. Ce réseau est plus actif pendant le repos et le traitement autoréférentiel, comme l’évaluation des informations essentielles à la survie, la mémorisation des événements passés et la planification de l’avenir. Le DMN fournit non seulement un indice de la physiologie cérébrale de base, mais il est également sensible aux pathologies cérébrales, incluant les troubles neurodégénératifs. La figure 1 montre l’emplacement du DMN.

Figure 1. La figure de gauche montre la région utilisée pour identifier le réseau du mode par défaut. La figure de droite montre les régions fonctionnellement couplées à cette région, qui forme le DMN.

Nos analyses ont révélé que la relation entre le vieillissement et la connectivité fonctionnelle à l’état de repos (RSFC) est complexe. Le RSFC était généralement plus faible chez les personnes âgées, mais certaines régions présentaient un RSFC plus élevé. Par exemple, dans le réseau du langage, le RSFC était plus élevé avec l’âge dans l’IFG gauche (orange sur la figure 2) et plus faible avec l’âge dans l’IFG gauche et le gyrus orbitofrontal (bleu).

Figure 2. Relation entre l’âge et le RSFC dans le réseau du langage.

Il est important de noter que nos résultats ont également révélé que le RSFC chez les chanteurs amateurs diffère du RSFC chez les non-chanteurs dans le DMN, mais pas dans les quatre autres réseaux. Dans le DMN, certaines régions ont montré une interaction entre l’âge et le groupe, ce qui signifie que, dans ces régions, le RSFC était positivement associé à l’âge des chanteurs et négativement associé à l’âge des non-chanteurs. Ceci est illustré à la figure 3.

Figure 3. Décomposition de l’interaction entre âge et groupe dans le DMN. La relation entre l’âge et le RSFC est présentée séparément pour les chanteurs et les non-chanteurs.

Nos analyses ont également indiqué que dans le DMN, en particulier dans le précuneus bilatéral, un RSFC plus élevé était associé à une moins bonne attention auditive (performance au TAiL). Ceci pourrait refléter une tentative infructueuse d’engager davantage de ressources neuronales pour maintenir les performances des personnes âgées. Alternativement, ces résultats pourraient également s’expliquer par une capacité réduite des personnes âgées à diminuer le RSFC. En effet, l’activité du DMN est élevée au repos, mais est inhibée lors des tâches permettant au cerveau de se concentrer sur la tâche à accomplir (p. ex. suivre une conversation, mémoriser un numéro de téléphone). Ce mécanisme pourrait être diminué dans le vieillissement normal.

En résumé, notre étude montre que l’activité cérébrale de base, telle qu’indexée par le RSFC, est très différente chez les adultes plus âgés par rapport aux adultes plus jeunes dans plusieurs réseaux. En revanche, les différences liées au chant se limitaient à un seul réseau-le DMN-le principal réseau activé au repos. Il est important de noter que l’activité de ce réseau était associée à l’attention auditive. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la relation entre les activités musicales et le RSFC. Il est important de noter que l’on sait très peu de choses sur la façon dont les différentes activités musicales (chanter et jouer d’un instrument) affectent le RSFC au cours du vieillissement. Toutes les activités musicales affectent-elles l’activité cérébrale de la même manière ou existe-t-il des différences entre jouer d’un instrument de musique et chanter ? Certaines activités sont-elles plus bénéfiques ? Nous analysons actuellement un nouvel ensemble de donnes recueillies sur un autre échantillon plus large de chanteurs, d’instrumentistes et de non-musiciens pour répondre à ces questions. Restez à l’affût pour en savoir plus sur ce nouveau projet !

Et merci à tous ceux qui ont participé à cette étude !

Pour lire l’article complet :
Xiyue Zhang, Pascale Tremblay ; Aging of Amateur Singers and Non-singers: From Behaviour to Resting-state Connectivity. J Cogn Neurosci 2023 ; https://doi.org/10.1162/jocn_a_02065

Pour consulter le jeu de données dans Borealis:  https://borealisdata.ca/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.5683/SP3/PSNGYT

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