Nous avons le plaisir de vous présenter les résultats d’un article scientifique que nous avons publié récemment dans leJournal of Speech, Language, and Hearing Research, et qui a fait l’objet d’une publication de Jean Hamann dans ULaval Nouvelles en décembre.

Ce projet, financé par une subvention d’Équipe du FRQNT, a démarré en 2018 après avoir reçu l’autorisation du Comité d’éthique de la recherche sectorielle en neurosciences et santé mentale du CIUSSSCN de la capitale nationale (#2019-1733), pour se terminer quatre ans plus tard au printemps 2023, après avoir traversé plusieurs épreuves, incluant la pandémie de COVID. Ce vaste projet s’intéresse aux effets du vieillissement sur la communication chez des personnes qui pratiquent des activités musicales et des activités non musicales ayant une composante motrice et une composante cognitive (comme le billard ou le tricot). Nous avons nommé ce projet « PICCOLO », pour « Projet de recherche sur les effets de la Pratique d’un Instrument ou du Chant sur la COgnition, le Langage et l’Organisation cérébrale » (Figure 1).

Figure 1. Projet de recherche sur les effets de la Pratique d’un Instrument ou du Chant sur la COgnition, le Langage et l’Organisation cérébrale ou PICCOLO

Alors que les composantes linguistiques du langage, comme la préparation sémantique et le vocabulaire, demeurent relativement stables dans le temps, ou s’enrichissent, les étapes motrices de la production de la parole — c’est-à-dire la respiration, l’articulation et la phonation (c.-à-d. la production de la voix) (Figure 2) — subissent des changements significatifs avec l’âge, avec une variabilité interindividuelle importante. Les causes de ces difficultés sont encore peu connues, ainsi, peu de stratégies de prévention existent.

Figure 2. Les étapes de la production de la parole.

L’hypothèse du projet était que les chanteurs âgés auraient une qualité vocale plus grande et une articulation plus précise et plus rapide que les non-chanteurs âgés du fait de leur entraînement vocal. Comme le chant repose sur la voix et l’articulation, il est en effet possible que la pratique du chant ait un effet bénéfique sur la production du langage (un phénomène souvent appelé « transfert »), bien que les modèles théoriques ne s’entendent pas sur ce point. En effet, certains modèles proposent que le contrôle de la parole soit effectué par un réseau cérébral distinct de celui qui contrôle les autres fonctions de l’appareil vocal, comme rire, chanter ou crier. D’autres modèles proposent plutôt un appareil neurologique partagé. Alors que les premiers types de modèles ne prédisent pas d’effet du chant sur la parole, le deuxième type de modèle prédit l’inverse.

Durant la séance de collecte de données, des tests mesurant la phonation et l’articulation ont été effectués par 38 chanteurs amateurs âgés de 20 à 87 ans et 40 personnes pratiquant des activités non musicales ayant une composante motrice et une composante cognitive (comme le billard ou le tricot), âgés de 23 à 88 ans. Des personnes qui pratiquent des instruments de musique ont aussi été recrutées, mais leurs enregistrements n’ont pas été analysés dans le cadre de cet article. Les productions vocales des participants et participantes ont été enregistrées.

Pour évaluer la phonation, les participants ont produit la voyelle /a/ plusieurs fois durant 3 secondes, puis ils ont produit la plus longue voyelle /a/ possible (phonation maximale). La première tâche nous permet de mesurer la qualité et la stabilité vocale alors que la deuxième nous donne un aperçu de la capacité phonatoire.

Pour évaluer l’articulation, deux épreuves ont été utilisées. La première consistait en la lecture d’un court texte à voix haute. Cette tâche nous permet d’évaluer la précision et la vitesse de l’articulation, dans un contexte facile. La deuxième épreuve consistait en une tâche de diadococinésie, durant laquelle les personnes doivent répéter des mots et des non-motssimples et complexes, rares et fréquents, à une vitesse normale et le plus rapidement possible. Cette tâche a été élaborée à partir de notre base de données SyllabO+, qui nous a permis de construire des stimuli hautement contrôlés. Ce test permet d’évaluer la précision et la vitesse de l’articulation dans un contexte de performance maximale.

Figure 3. L’équipe du projet. En haut, de gauche à droite : Lydia Gagnon, Pascale Tremblay. En bas, de gauche à droite : Alison Arseneault et Johanna-Pascale Roy.

Nos résultats montrent que les personnes âgées lisent plus lentement à voix haute, qu’elles produisent plus lentement et de manière moins constante les syllabes durant le test de diadococinésie et que leur précision articulatoire est moins bonne que celle des personnes plus jeunes lorsqu’elles produisent des syllabes complexes.

Nos résultats montrent également un avantage pour les chanteurs par rapport aux non-chanteurs en termes de précision articulatoire dans les conditions les plus difficiles de la tâche de diadococinésie, c’est-à-dire lorsque nous demandions aux personnes de produire des syllabes difficiles (Figure 4, image de gauche) ou de parler le plus rapidement possible (Figure 4, image de droite). Ces résultats suggèrent des capacités maximales étendues chez les chanteurs amateurs, résultant peut-être des efforts articulatoires requis pendant le chant.

Figure 4. Résultats à la tâche de diadococinésie.

Ainsi, cette étude suggère un bienfait de la pratique du chant de niveau amateur sur la production de la parole. Toutefois, contrairement à notre hypothèse, nous n’avons pas trouvé de bienfaits sur la voix. Ceci ne signifie pas nécessairement qu’il n’y en a pas, mais simplement que ce bienfait, s’il existe, n’a pas été mesuré dans notre étude. Il est possible que différents tests vocaux puissent le révéler.

Que conclure de ces résultats ? La pratique du chant semble avoir un effet bénéfique sur certains aspects de la production de la parole. Il faut maintenant tenter d’identifier l’ensemble de ces bienfaits, et surtout, déterminer si les caractéristiques des personnes, comme leur âge et leur sexe, et les caractéristiques de leur pratique du chant, comme le type de chant, et sa fréquence, modulent les bienfaits du chant. Cette information permettra ultimement de promouvoir des activités ciblées visant à prévenir ou réduire les impacts du vieillissement sur la communication.

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