Vous avez probablement déjà entendu la phrase « Ce n’est pas ce que tu as dit, mais comment tu l’as dit ». Vous l’avez peut-être entendue dans un contexte où quelqu’un semblait plus en colère, moins poli, ou plus sarcastique que ce qui était attendu.

Cette notion est liée à une propriété du langage connue sous le nom de prosodie. Comme nous l’avons vu dans des articles de blogue précédents, le langage est composé de nombreux éléments. Pour former un mot, nous avons besoin de sons, ainsi que de morphèmes (les unités significatives qui ne peuvent être divisées,mais qui peuvent être combinées les unes aux autres, comme nag- et -eur, qui ensemble forment le mot nageur). Les mots peuvent ensuite être combinés en des unités plus grandes appelées syntagmes (par exemple, le nageur habile) et des phrases (par exemple, le nageur habile a remporté le championnat).

Alors où se situe la prosodie dans tout cela ? La prosodie est un peu comme la « saveur » des productions orales. Elle est liée à l’intonation et au rythme que nous attribuons à un syntagme ou à une phrase.

Par exemple, nous savons que les questions en français impliquent souvent l’inclusion d’un marqueur de question (comme « est-ce que ») ou l’inversion du sujet et du verbe (comme dans le cas de « as-tu »). Cependant, nous pouvons également poser des questions en changeant l’intonation d’une phrase qui utilise l’ordre déclaratif (c’est-à-dire l’ordre des mots que nous utilisons dans les déclarations).

Pensez à la phrase « J’ai écrit un courriel ». Si elle est produite avec une intonation déclarative — c’est-à-dire lorsque la hauteur de la voix baisse progressivement vers la fin de la phrase —, elle sera généralement interprétée comme la réponse à une question telle que « Qu’as-tu fait ? » ou comme une simple déclaration d’un fait. Voir la figure 1 (vous pouvez écouter la phrase en cliquant sur le bouton).

Figure 1. La phrase « J’ai écrit un courriel » produite avec une intonation déclarative.

Mais quelqu’un pourrait aussi produire cette phrase s’il n’était pas sûr d’avoir vraiment écrit un courriel. Dans ce cas, la phrase est produite avec une intonation interrogative, où la hauteur monte vers la fin de la phrase. Voir la figure 2 (vous pouvez aussi écouter cette phrase en cliquant sur le bouton).

Figure 2. La phrase « J’ai écrit un courriel » produite avec une intonation interrogative.

La différence entre ces deux productions de la même phrase indique que la prosodie est utilisée d’une manière qui dépasse le sens de chaque mot dans une phrase.

En fait, même les plus petites phrases peuvent voir leur sens affecté par l’intonation que nous leur attribuons. Peter Ladefoged et Keith Johnson (2015), dans leur livre A Course in Phonetics (Un cours de phonétique), illustrent ce phénomène avec une phrase d’un seul mot : Amélie. Leurs exemples portent sur l’intonation de l’anglais, mais les principes qui s’appliquent à eux s’appliquent également au français et à d’autres langues.

Cette phrase d’un seul mot pourrait être produite dans de nombreux contextes. Par exemple, elle pourrait être produite comme réponse à la question « Quel est son nom ? », comme une question de confirmation (équivalent à « As-tu dit Amélie ? »), comme un reproche — et dans de nombreux autres contextes. Dans chacun de ces contextes, l’intonation de la phrase Amélie sera différente, comme le montre la figure 3. Vous pouvez écouter les trois versions de la phrase en cliquant sur les boutons.

Figure 3. La phrase d’un seul mot Amélie produite de trois manières différentes.

Dans le premier panneau de la Figure 3, Amélie est produite comme réponse à la question « Quel est son nom ? ». Dans ce cas, la phrase a une intonation neutre, similaire à ce qui est observé dans les phrases déclaratives.

Dans le deuxième panneau de la Figure 3, Amélie est produite comme une question de confirmation, avec une intonation montante.

Dans le troisième panneau de la Figure 3, Amélie est réprimandée, il y a donc une montée de hauteur entre les deux premières syllabes du mot. Après cela, la hauteur baisse à nouveau. De plus, la dernière syllabe du mot est allongée.

L’intonation n’est pas le seul aspect de la prosodie. Le rythme, manifesté par l’insertion de pauses, les allongements de syllabe ou l’attribution d’accent à certains mots, peut également influencer l’interprétation des phrases par les auditeurs.

Par exemple, comparez la phrase « Je pense que c’est bon » avec « Je pense que c’est… bon », où les points indiquent une pause avant bon. Si quelqu’un produisait la deuxième version de cette phrase en relation avec quelque chose que vous avez fait, vous supposeriez probablement qu’ils ne l’ont pas trouvé si bon.

D’autre part, l’accent est la mise en relief d’un mot donné dans une phrase. En faisant cela, nous mettons en évidence ce mot, et nous créons un contraste avec d’autres significations possibles qui pourraient exister.

Par exemple, si quelqu’un dit « Marie a acheté une VOITURE » (ici, l’élément accentué, « voiture », est en majuscules), nous comprenons que ce que Marie a acheté étaient une voiture (et non une maison ou une table). Par contre, si quelqu’un dit « Marie a acheté DEUX voitures », nous comprenons que la quantité est importante pour le sens de la phrase : Marie a acheté deux voitures plutôt qu’une ou trois, par exemple.

Les chercheurs et chercheuses qui étudient la prosodie examinent comment les gens utilisent ces indices (intonation, pauses, accent) pour transmettre et interpréter le sens. Ils enseignent également aux machines (comme les systèmes de téléphonie intelligents) à utiliser ces indices lors de la production et du traitement de la parole. Comme l’utilisation de ces indices est souvent subtile, ces tâches sont très difficiles !