Avoir un mot sur le bout de la langue, quelle frustration ! On a beau avoir en tête l’objet dont il est question, son contexte, son usage… son nom nous échappe malgré tout.

La parole est une capacité en apparence si anodine qu’on en oublie sa grande complexité. Il s’agit pourtant d’une fonction à la fois cognitive, motrice et sensorielle. Dans une publication précédente, nous écrivions que l’utilisation d’une centaine de muscles pouvait être nécessaire pour prononcer une phrase ! La production des mots est une chose, mais encore faut-il les trouver !

L’accès lexical est la capacité à accéder aux mots de notre vocabulaire qui sont emmagasinés dans notre cerveau. Comment s’y retrouve-t-on ? Les mots n’y seraient pas enregistrés seuls, mais avec des informations sur leur forme et leur sens – comme un dictionnaire. Les mots sont-ils organisés en ordre alphabétique dans notre cerveau ? Ce ne serait certainement ni rapide ni efficace. Pensez que le temps qu’il nous faut pour parler, à moins d’avoir un blanc de mémoire, est infiniment court ! Les mots seraient plutôt organisés en relation avec d’autres mots, comme des réseaux de concepts, et en catégories. Par exemple, le mot « pomme » désigne un fruit, de couleur rouge/vert/jaune, sucré/sûre, qui pousse dans un arbre. Notre esprit navigue rapidement à travers ces réseaux sémantiques pour trouver les mots dont nous avons besoin. En plus d’une organisation sémantique, les mots sont aussi organisés en fonction de leur forme phonologique. Ainsi, entendre le mot « pomme » active des mots à la forme similaire comme « gomme » et « comme ».

Pourquoi un mot nous reste-t-il parfois sur le bout de la langue ? Selon l’une des théories sur le sujet [1], cette situation serait causée par un problème momentané à connecter le sens ou la forme d’un mot à sa représentation phonologique, soit « l’étiquette » décrivant les sons du mot à l’oral ! Le sens et la forme d’un mot font appel à des réseaux neuronaux en partie distincts. Le sens comprend la syntaxe, c.-à-d. la place du mot dans la construction d’une phrase, et la sémantique qui est la signification du mot et de son contexte. La forme du mot, quant à elle, correspond aux sons (phonèmes et syllabes) qui le composent et ses morphèmes (c.-à-d. les plus petites unités de sens qui composent un mot, comme la racine et les affixes. Par exemple, un « nag-eur » est une personne qui fait l’action de nager. « nag » est la racine, et « eur » est un suffixe). Lorsqu’un mot « est sur le bout de notre langue », on peut avoir en tête le contexte du mot ou sa définition, ou encore sa première lettre, mais il n’est pas possible de le produire oralement.

Les mots ne sont pas tous égaux : l’accès lexical est facilité par une utilisation fréquente du mot et son caractère concret et visuel. Il est plus facile de se souvenir du mot « pomme », que l’on se représente facilement, que le mot « liberté » qui est abstrait. Le laboratoire a d’ailleurs développé un outil en ligne, Syllabo+, qui intègre des statistiques d’utilisation des syllabes et des mots du français québécois. Un outil unique pour nos recherches et qui est aussi utile pour les orthophonistes, les linguistes, les enseignants et enseignantes et tous ceux et celles qui s’interrogent sur leur langue !

Bien que le phénomène du mot sur le bout de la langue (en anglais on parle du phénomène de : « tip of the tongue » ou TOT) soit courant et vécu par tous ponctuellement, son occurrence augmente chez les personnes âgées. En effet, le vieillissement est associé à des changements asymétriques entre différents aspects du langage, en plus d’un déclin de la cognition dont la mémoire. L’âge affecte ainsi de manière plus importante la capacité à produire le langage que la capacité à le comprendre. Puisque la production du langage est une composante nécessaire aux échanges interpersonnels et à la vie sociale, comprendre les mécanismes sous-jacents à ce déclin pourrait permettre de développer des interventions pour réduire les difficultés vécues par les aînés.

Notre laboratoire travaille sur plusieurs projets de recherche afin de comprendre les mécanismes neurologiques qui soutiennent la production et la perception du langage oral ainsi que l’effet du vieillissement sur les fonctions langagières. Visitez notre site web pour en connaître plus sur nos projets !

Lectures suggérées:

Sources:

[1] Burke, D.M., MacKay, D.G., & James, L.E. (2000). Theoretical approaches to language and aging. In T. Perfect & E. Maylor (Eds.), Models of cognitive aging (pp. 204-237). Oxford, U.K.: Oxford University Press.

Tremblay, P., Poulin, J., Martel-Sauvageau, V., Denis, C. (2019) Age-related deficits in speech production: from phonological planning to motor implementation. Experimental gerontologist, 126:110695. 

Burke, D.M. & Shafto M.A. (2004). Aging and language production. Curr Dir Psychol Sci.;13(1):21-24.

Diaz et al. (2014). Age-related differences in the neurol bases of phonological and semantic processes, J Cogn Neurosci ;26(12):2798-811.

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