Nouvel article scientifique sur l’histoire de la neurobiologie du langage
Nous avons le plaisir de vous présenter un article scientifique publié récemment, portant sur l’histoire de la neurobiologie du langage.
Retracer l’histoire d’une discipline est incontournable pour saisir sa richesse, sa complexité ainsi que les défis actuels qui la traversent. La neurobiologie du langage, c’est-à-dire l’étude de la relation entre le cerveau et le langage, a débuté dès le 19e siècle. Si cette discipline a d’abord été associée au domaine médical avec un apport important de l’anatomie, elle s’est progressivement transformée pour intégrer des approches et théories provenant des sciences de la santé (p. ex. de l’orthophonie, des neurosciences, de la gériatrie et de la médicine), des sciences sociales et humaines (p. ex. de la linguistique, de la psychologie, de la psycholinguistique, et des sciences cognitives) ainsi que des sciences naturelles et génie (p. ex. de l’informatique et plus récemment de l’intelligence artificielle). Cette richesse induite par la multidisciplinarité engendre aussi des défis.
Pascale Tremblay, la directrice du labo et sa collègue Simona Maria Brambati, professeure-chercheure titulaire au département de psychologie à l’Université de Montréal, ont retracé dans cet article l’histoire de la neurobiologie du langage : des travaux pionniers, centrés sur l’étude du cerveau lésé, jusqu’à l’avènement de nouvelles technologies de pointe qui ont considérablement amélioré nos connaissances sur les réseaux langagiers et modifié notre façon d’étudier ces réseaux (voir un résumé à la figure 1). Les chercheuses terminent en présentant deux modèles actuels et les défis de la discipline. Ce texte vous présente les éléments principaux extraits de cet article scientifique.
Le premier modèle de la neurobiologie du langage
Dès lors que l’on a découvert, au début du 19e siècle, que le cerveau était un organe complexe et différencié, des recherches ont tenté de comprendre l’organisation du cerveau et les régions impliquées dans le traitement et la production du langage. Ces travaux se penchaient sur des personnes ayant des pathologies. Ainsi, les premières études médicales sur le langage ont été réalisées sur des cas uniques, à partir de l’étude du cerveau de personnes cérébrolésées, c’est-à-dire de personnes ayant des lésions cérébrales. De plus, étant donné l’absence de moyens technologiques pour étudier le fonctionnement du cerveau d’une personne vivante, les recherches se faisaient de façon post-mortem.
Deux médecins de l’époque sont à l’origine de la conception classique du langage : le langage serait traité dans des zones spécifiques et circonscrites du cerveau, principalement situées dans l’hémisphère gauche. Le chirurgien français Paul Broca est l’un des premiers à associer une partie spécifique du cerveau à la parole, le gyrus frontal inférieur. À la suite de ces travaux, le médecin allemand Carl Wernicke découvre un autre endroit du cerveau qui serait impliqué dans le langage, le lobe temporal postérieur. À partir de l’étude de cerveaux de patients capables de parler, mais incapables de comprendre le langage (et n’ayant pas d’autres déficits intellectuels), Wernicke propose le premier modèle qui donnera naissance à la neurobiologie du langage. Selon lui, deux parties du cerveau seraient impliquées dans le langage : l’aire de Broca (gyrus frontal inférieur), considéré comme un centre moteur de la production de la parole, et l’aire de Wernicke (lobe temporal), responsable de la compréhension de la parole. Ces deux régions seraient reliées par une structure appelée faisceau arqué. Ce modèle est illustré à la Figure 2.
Ce premier modèle, bien que très simple, a permis de générer beaucoup de connaissances, encore pertinentes aujourd’hui.
La naissance des neurosciences cognitives du langage
Au milieu des années 1900, l’étude du langage s’éloigne progressivement du domaine médical par l’influence des méthodes et questions de recherches de la psycholinguistique et de la neuropsychologie. Mais c’est au tournant du 20e siècle que des changements majeurs dans la neurobiologie du langage se sont produits : l’avènement de technologies de pointe a donné naissance aux neurosciences cognitives du langage. En effet, les avancées technologiques ont enrichi et affiné notre connaissance des processus sous-jacents à la production, à la perception et la compréhension du langage (voir un résumé à la figure 3). L’arrivée de ces nouvelles méthodes marque un changement majeur dans les objectifs et méthodes de recherche sur le langage : désormais, on s’intéresse au cerveau sain ou lésé, jeune ou âgé. En élargissant ainsi les groupes de personnes auxquels on s’intéresse, notamment aux personnes ne présentant aucune lésion cérébrale, les études utilisant les outils technologiques ont pu enrichir les connaissances sur le langage et le cerveau.
Les approches électrophysiologiques, telles que l’EEG (pour en savoir plus, consultez notre article en cliquant ici), ont notamment permis une meilleure compréhension du décours temporal des processus langagiers. Ensuite, l’avènement des outils d’imagerie cérébrale dans les années 1990 (pour en savoir plus, consultez dans notre article en cliquant ici), offrant une résolution spatiale plus élevée, a permis de produire une cartographie des régions du cerveau, en fonction de la variation du flux sanguin dans le cerveau, liée à l’activité neuronale. On doit notamment à l’IRM, outil d’imagerie cérébrale le plus souvent utilisé dans les recherches, plusieurs contributions majeures. Par exemple, l’IRM nous a permis de développer notre compréhension de troubles du langage acquis chez des personnes atteintes de lésions cérébrales, notamment chez des personnes atteintes d’aphasie post-AVC ou encore d’aphasie primaire progressive (pour en savoir plus sur l’APP, vous pouvez consulter notre article en cliquant ici). L’IRM a aussi permis d’étudier la plasticité du cerveau, à savoir sa capacité à se réorganiser à la suite d’un AVC, mais aussi à la suite d’apprentissages, comme l’apprentissage d’une langue seconde. L’IRM a également ouvert de nouvelles perspectives en permettant l’étude du cerveau chez des personnes en bonne santé. Cette avancée a grandement enrichi notre compréhension du réseau langagier, en particulier chez l’adulte. Elle a révélé que le langage repose sur de larges réseaux cérébraux interconnectés, qui collaborent de manière dynamique.
Enfin, les méthodes de stimulation cérébrale, qui ont vu le jour au milieu du 20e siècle, ont permis d’élargir le champ d’application de la recherche sur le langage. Ces méthodes qui permettent de cartographier les fonctions langagières dans le cerveau ont été utilisées pour mieux comprendre le fonctionnement de la parole et du langage. La technique la plus utilisée, car non invasive et très précise, est la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) qui repose sur le principe de l’induction électromagnétique (pour en savoir plus, consultez notre article en cliquant ici). La TMS se différencie des autres techniques d’imagerie, car elle permet non seulement d’identifier les régions du cerveau impliquées dans la parole et le langage (de même que d’autres fonctions), mais elle peut également moduler l’activité cérébrale. Elle permet par exemple de stimuler des régions du cerveau pour améliorer certaines fonctions langagières.
Les modèles et défis contemporains
Les chercheuses soulignent que le développement des connaissances sur le langage est le résultat d’une complémentarité entre de nombreuses méthodes de recherche et approches théoriques. Aussi, à mesure que nos connaissances sur le langage se développent, on remet en question certains résultats antérieurs. Par exemple, on sait aujourd’hui que l’aire de Broca n’est pas une aire motrice et qu’elle n’est pas responsable de la production du langage, et que la perception et l’articulation du langage sollicitent les deux hémisphères du cerveau et non seulement le gauche, même si le gauche est plus fortement sollicité pour certaines fonctions langagières.
L’article présente également deux modèles de traitement de la parole contemporains importants. Le modèle de traitement de la parole à doubles voies, développé par Hickok et Poeppel au début des années 2000, permet de comprendre que deux voies de traitement contribuent au langage, à savoir une voie dorsale importante pour la perception et la production de la parole et une voie ventrale importante pour le traitement des mots et la compréhension du langage. Ces deux voies impliquent des régions cérébrales différentes (voir les figures 4 pour une représentation de ces deux voies). Le deuxième modèle, modèle DIVA/GODIVA, permet de mieux comprendre la production et l’apprentissage de la parole, en mettant l’accent sur les rétroactions sensorielles lors de la production du langage et sur le système sensorimoteur qui soutient la production de la parole.
Les chercheuses terminent l’article en précisant que certains défis actuels traversent la discipline tant sur le plan des questions de recherche que sur le plan méthodologique. Elles soulignent notamment l’importance de développer des modèles qui tiennent compte du développement du langage de la naissance jusqu’à la vieillesse et qui incluent davantage les structures sous-corticales (comme le cervelet, les noyaux gris centraux et le thalamus). Un défi majeur de la discipline réside dans le fait que les études portant sur le langage s’appuient presque exclusivement sur la recherche humaine, étant donné les différences importantes entre le langage humain et la communication chez les animaux, même chez nos plus proches cousins, les grands singes. L’étude de certaines fonctions cognitives, comme la navigation spatiale, la mémoire et l’apprentissage, s’appuie à la fois sur la recherche humaine et animale, ce qui a permis des avancées majeures dans la compréhension des systèmes neurobiologiques impliqués. Cependant, les avancées technologiques ouvrent de nouvelles perspectives prometteuses pour surmonter ces défis et enrichir notre compréhension du langage, cette fonction si spéciale, et si profondément humaine.
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