Dans un article précédent, nous avons abordé la presbyacousie, son impact sur l’audition et sur la vie des personnes qui en souffrent ainsi que les approches de prévention et de traitement. Dans le présent article, nous proposons d’examiner la presbyacousie sous un angle physiopathologique. La physiopathologie est une branche de la médecine qui vise à expliquer comment les fonctions du corps sont altérées lorsque survient une maladie ou une affection, qu’elle soit de nature physique, chimique, biologique, neurologique ou même psychologique. Commençons par quelques définitions.

  1. Définitions

Physiopathologie

« Physio » est un préfixe dérivé du grec ancien « phusis », signifiant « nature ».

« patho » provient du grec ancien « pathos », se traduisant par « maladie » ou « douleur ».

« logie » est issu du grec ancien « logos », désignant « étude » ou « discours ».

Ainsi, la physiopathologie se définit comme l’étude de la nature des maladies.

Presbyacousie

« Presby » est un préfixe dérivé du grec ancien « présbus », signifiant « âgé » ou « vieux ».

« acousie » provient du grec ancien « akoé », désignant « audition » ou « capacité d’entendre ».

Ainsi, la presbyacousie se définit comme une diminution de la capacité d’audition liée à l’âge.

Bien que la presbyacousie ne soit pas catégorisée comme une maladie, puisqu’elle survient naturellement avec l’âge, certains mécanismes physiopathologiques du vieillissement normal peuvent en expliquer la cause. Dans cet article, nous présenterons les notions anatomiques de base liées à l’audition, celles-ci nous permettront ensuite d’expliquer comment la presbyacousie affecte les structures de l’oreille. Pour ce faire, nous survolerons les différents types de presbyacousie répertoriés dans la littérature scientifique et nous détaillerons les implications propres à chacun de ces types sur la santé auditive des personnes qui en sont atteintes.

 

2. Quelques notions anatomiques

Figure 1. Schéma de l’oreille externe, moyenne et interne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oreille_structures_3.png

L’oreille externe est constituée du pavillon, captant les ondes sonores, et du conduit auditif externe, conduisant ces ondes vers le tympan.

L’oreille moyenne est l’intermédiaire entre l’oreille externe et l’oreille interne. Elle comprend le tympan, les osselets (marteau, enclume et étrier) ainsi que la trompe d’Eustache. Son rôle principal est d’amplifier les vibrations acoustiques en les transformant en énergie mécanique. L’étrier, agissant tel un piston, reproduit les mouvements du tympan induits par les vibrations sonores, transmettant ainsi ces vibrations aux liquides contenus dans l’oreille interne (la périlymphe et l’endolymphe).

L’oreille interne, nichée dans l’os temporal, est une structure osseuse creuse souvent appelée « le labyrinthe ». Elle se divise en deux parties :

  • La cochlée, responsable de l’audition, a l’apparence d’une spirale repliée sur elle-même.
  • L’organe vestibulaire, responsable de l’équilibre, est identifiable grâce à ses trois canaux semi-circulaires.

Ces deux structures sont contenues dans un labyrinthe membraneux, calqué sur la forme de labyrinthe osseux. Elles communiquent avec le cerveau par l’intermédiaire de petites cellules ciliées (Figure 2). Ces cellules transforment les mouvements du liquide, soit dans la cochlée soit dans le système vestibulaire, en signaux électriques qui seront ensuite interprétés par le cerveau comme des sons ou du mouvement.

Figure 2. Images d’une section de cochlée captées à l’aide d’un microscope électronique. a) Cellules ciliées internes saines (groupées en forme de U aplati et disposées sur une seule rangée) dans le haut de l’image, et ciliées externes saines (groupées en forme de V ou W et disposées sur trois rangées) dans le bas de l’image. b) Cellules ciliées internes et externes ayant subi les dommages d’une exposition excessive au bruit. Lorsqu’elles sont stimulées par les mouvements de l’endolymphe, les cellules ciliées externes produisent une série de contractions et de relâchements, un phénomène nommé « motilité des cellules ciliées externes ». Ces dynamiques induisent des déplacements de la membrane tectoriale, située directement au-dessus d’elles (Figure 4). Bien qu’elle ait dû être retirée pour que ces images puissent être captées, cette membrane, en bougeant, active les cellules ciliées internes, lesquelles envoient l’influx nerveux qui sera interprété comme du son par notre cerveau. Ce mécanisme agit comme un amplificateur cochléaire, nous dotant de la capacité d’entendre des sons très doux qui seraient autrement inaudibles. Les cellules ciliées, la membrane tectoriale et la membrane basilaire sont les principales structures de l’organe de Corti, qui est en grande partie responsable de l’audition (Figure 4). Source : https://openi.nlm.nih.gov/detailedresult?img=PMC3530863_IJPED2012-473541.005&query=&req=4

 

Si l’on effectue une coupe de la cochlée (Figure 4), on peut s’apercevoir qu’elle contient deux rampes (rampe vestibulaire et rampe tympanique) et un canal (canal cochléaire) qui sont séparés par des membranes très fines, la membrane de Reissner et la membrane basilaire. Tout au long du canal cochléaire reposent les cellules ciliées sur la membrane basilaire qui forme son plancher. Ce canal est rempli d’un liquide spécial, l’endolymphe. Les rampes vestibulaires et tympaniques respectivement situées au-dessus et en dessous du canal cochléaire contiennent un liquide appelé périlymphe. Quand les vibrations sonores pénètrent dans la cochlée grâce à l’action de l’étrier, elles se propagent d’abord à travers cette périlymphe dans la rampe vestibulaire. Elles se propagent ensuite dans l’endolymphe du canal cochléaire, car les minces membranes permettent la transmission du mouvement causé par la vibration sonore. C’est à ce moment que les cellules ciliées sont stimulées. Les vibrations se dissipent ensuite dans la rampe tympanique, qui est, elle aussi, comme la rampe vestibulaire, remplie de périlymphe. La formation de l’endolymphe du canal cochléaire est assurée par la strie vasculaire, un tissu très vascularisé qui tapisse la paroi latérale du canal cochléaire. La strie vasculaire assure le maintien de l’équilibre chimique de l’endolymphe, permettant ainsi aux cellules ciliées de bien fonctionner. En réponse aux mouvements de la membrane basilaire induits par les ondes sonores, ces cellules ciliées transmettent l’influx nerveux aux cellules des ganglions spiraux. Ces dernières, à leur tour, dirigent l’information auditive vers le nerf cochléovestibulaire (aussi appelé nerf VIII) qui acheminera l’information au cerveau. 

Figure 3. Schéma de l’intérieur de la cochlée. Élaboré à partir de https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1406_Cochlea.jpg

3. La tonotopie: un mécanisme physiologique unique

La cochlée est un organe remarquable, elle se distingue notamment par son organisation tonotopique, c’est-à-dire que l’emplacement des cellules ciliées sur la membrane basilaire détermine les sons qu’elles sont chargées de traiter. Ainsi, les sons aigus stimulent les cellules ciliées à l’entrée de la cochlée, tandis que les sons graves affectent celles situées à son extrémité (voir Figure 5). Quand un son aigu crée une « vague » dans les fluides de l’oreille interne — la périlymphe et l’endolymphe —, cette vague atteint son sommet rapidement, activant les cellules à l’entrée de la cochlée, ce qui donne lieu à la perception d’un son aigu. À l’opposé, une onde sonore grave crée une vague qui atteint son sommet plus profondément dans la cochlée, sollicitant les cellules à son extrémité, conduisant ainsi à la perception d’un son grave. Grâce à cette organisation tonotopique, notre oreille est capable de discerner un vaste éventail de fréquences, allant de 20 à 20 000 Hertz, rendant ainsi notre sens de l’audition très précis.

 

Tonotopie

« Tono » est un préfixe dérivé du grec « tonos », signifiant « tension » ou « ton ».

Dans ce contexte, il se réfère au son.

« topie » provient du grec « topos », désignant « lieu » ou « endroit ».

Ici, il évoque l’emplacement des cellules ciliées sur la membrane basilaire de la cochlée.

Le terme « tonotopie » combine donc les notions de « son » et « emplacement » et se rapporte à l’organisation des sons sur la membrane basilaire de la cochlée.

 

Figure 4. Représentation de l’organisation tonotopique sur un modèle de cochlée déroulée. Cette illustration met en évidence le traitement des sons aigus à la base (l’entrée) de la cochlée et le traitement des sons graves au bout de la cochlée (apex). Les sons compris entre 250 et 8000 Hz sont les plus importants pour percevoir l’ensemble des subtilités de la parole. Ces derniers sont traités par les cellules ciliées situées sur la portion centrale de la cochlée. Élaboré à partir de : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Uncoiled_cochlea_with_basilar_membrane.png
4. La presbyacousie : une surdité d’origine neurosensorielle
 

La presbyacousie se distingue de la perte auditive de conduction, qui est due à une dysfonction de l’oreille moyenne ou externe. Elle constitue une perte auditive neurosensorielle, car elle touche la cochlée, l’organe sensoriel dédié à la perception auditive, ou les fibres nerveuses (ganglions spiraux) reliant les cellules ciliées de la cochlée au nerf auditif. Pendant longtemps, la presbyacousie était vue comme étant le résultat des changements physiologiques de l’oreille liés au vieillissement. Cependant, les avancées scientifiques ont montré qu’en plus du vieillissement, elle découle de divers facteurs, tels que les facteurs génétiques, pharmacologiques et environnementaux, y compris l’exposition au bruit et aux substances toxiques. Des études récentes suggèrent aussi l’implication du système nerveux central. Par exemple, une diminution de la stimulation auditive causée par la presbyacousie pourrait entraîner une hyperactivité du système nerveux, causant ainsi des acouphènes (cillements dans les oreilles) ou des problèmes de tolérance sonore (sensibilité accrue aux sons forts). Des études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont démontré qu’une privation sensorielle prolongée causée par la presbyacousie pourrait provoquer une atrophie des régions auditives du cerveau entraînant ainsi un processus de réorganisation corticale connu sous le nom de « plasticité cérébrale ». Une connectivité réduite entre les deux hémisphères causée par le vieillissement cérébral pourrait également engendrer des problèmes de traitement de l’information auditive provenant des deux oreilles, compliquant la compréhension de la parole dans des environnements bruyants ou la localisation des sources sonores. Ces troubles, comme les acouphènes, les difficultés de compréhension de la parole ou de localisation des sons, sont donc intimement liés à la presbyacousie. Les mécanismes cérébraux impliqués dans la presbyacousie restent encore mal compris, mais font l’objet de nombreuses études.

5. Les différents types de presbyacousie

Les différents types de presbyacousie présentés dans cette section sont basés sur des études menées à partir d’échantillons cellulaires prélevés sur des personnes décédées chez qui des audiogrammes étaient disponibles (Figure 5). En comparant les échantillons cellulaires avec les courbes audiométriques des personnes, les équipes de recherche ont pu déterminer l’impact des différentes atteintes de la cochlée sur l’acuité auditive telle que mesurée par évaluation audiométrique.

Presbyacousie sensorielle 

Cette forme de presbyacousie se caractérise par une perte de cellules ciliées externes à la base de la cochlée (de 0 à 12 millimètres environ). À un stade plus avancé, une atrophie des cellules de support de l’organe de Corti peut être observée. Cette perte provoque un déficit dans la perception des sons aigus, mais elle affecte rarement l’acuité auditive au point d’occasionner de sérieuses difficultés de perception de la parole difficilement compensable par l’utilisation de prothèses auditives (Figure 5, courbe bleue). Ce type de presbyacousie serait en partie héréditaire autant chez les hommes que chez les femmes. L’exposition cumulative au bruit au cours de la vie serait le facteur contributif le plus important à ce type de presbyacousie qui, par ailleurs, serait le type le plus fréquent.

Presbyacousie neurale (parfois appelée presbyacousie centrale) 

Ce type de presbyacousie est défini par la perte de cellules ganglionnaires dans les ganglions spiraux (Figure 4). La perte de ces cellules peut entraîner une perte auditive variée en fonction de l’emplacement des cellules affectées. La perte de cellules ganglionnaires peut se produire sur toute la longueur de la cochlée. Cette presbyacousie se manifeste principalement par des difficultés de perception de la parole, plus importantes que ne le laisserait supposer la courbe audiométrique des personnes qui en sont affectées. En effet, 75 % des ganglions spiraux peuvent être atteints sans affecter l’acuité auditive mesurée à l’aide des sons purs. Les impacts de ce type de presbyacousie se font généralement sentir en âge avancé, lorsque le nombre de cellules ganglionnaires tombe sous un seuil critique. Cette presbyacousie s’avère plus difficile à compenser par l’utilisation de prothèses auditives surtout lorsque la perte de cellules ganglionnaires est plus importante dans les régions cochléaires cruciales pour la perception de la parole.   

Presbyacousie métabolique (parfois appelée presbyacousie striale) 

Ce type de presbyacousie est caractérisé par une insuffisance de l’approvisionnement sanguin à la strie vasculaire ce qui entraîne un débalancement chimique dans l’endolymphe qui permet aux cellules ciliées de bien fonctionner. La presbyacousie métabolique est associée à une réduction de l’acuité auditive en basses fréquences puisqu’elle atteint la strie vasculaire sur toute la longueur de la cochlée (Figure 5, courbe verte). Il s’agit du type de presbyacousie le plus fortement associé au vieillissement. Son caractère héréditaire serait plus fort que pour la presbyacousie sensorielle et serait davantage prévalent chez les femmes. Les maladies cardiovasculaires seraient un facteur contributif important, plus particulièrement chez les femmes.

 Presbyacousie mécanique

La presbyacousie mécanique serait associée à une rigidification de la membrane basilaire et conséquemment de l’organe de Corti. L’hypothèse de ce type de presbyacousie est émise lorsqu’une personne présente une courbe audiométrique typique avec une perte en haute fréquence et que les signes associés aux autres types de presbyacousie sont exclus. Certains auteurs suggèrent que ce mécanisme physiopathologique est théorique puisqu’il n’existe que très peu d’évidences et d’explications scientifiques du phénomène de rigidification de la membrane basilaire. De plus, la littérature demeure floue quant aux manifestations précises de ce type de presbyacousie sur l’acuité auditive des personnes qui en seraient atteintes.

Presbyacousie mixte 

La presbyacousie mixte peut être considérée lorsqu’au moins deux des traits caractéristiques des précédents types de presbyacousie sont présents (perte de cellules ciliées à la base de la cochlée — perte de cellules ganglionnaires — dysfonction de la strie vasculaire — rigidification de la membrane basilaire). Cette forme de presbyacousie pourrait donc engendrer une grande variété de configurations, de pertes auditives et des difficultés spécifiques à celles-ci.

Presbyacousie intermédiaire

Ce type de presbyacousie implique des altérations submicroscopiques dans les organelles intracellulaires, un métabolisme cellulaire dysfonctionnel, une diminution du nombre de synapses sur les cellules ciliées et des altérations chimiques de l’endolymphe. La courbe audiométrique associée à ce type de presbyacousie est plutôt égale sur l’ensemble des fréquences avec une baisse légèrement plus marquée dans les hautes fréquences. Elle pourrait correspondre à la courbe verte sur la Figure 5.

Figure 5. Ce graphique présente un audiogramme illustrant trois types de courbes audiométriques fictives. L’axe vertical indique le niveau de perte auditive en décibels (dB) : plus la valeur est basse sur le graphique, plus le volume du son doit être augmenté pour être perçu. L’axe horizontal représente les fréquences en Hertz (Hz), traduisant la hauteur du son : plus la valeur est élevée, plus le son est aigu. La zone grise délimite l’intervalle d’une audition considérée comme normale. La courbe orangée illustre une audition normale. La courbe verte illustre une courbe audiométrique plate qui pourrait être associée à une presbyacousie de type métabolique ou intermédiaire. La courbe bleue représente une perte auditive prédominante dans les hautes fréquences qui pourrait être associée à la presbyacousie de type sensoriel. Les autres formes de presbyacousie ne sont pas illustrées ici, car elles pourraient présenter des variations importantes et s’inscrire dans diverses déclinaisons des courbes illustrées ci-dessus. Source : David Ratelle.

6. Conclusion

La presbyacousie, bien qu’étroitement liée au vieillissement, est une atteinte complexe du système auditif qui englobe divers mécanismes physiopathologiques. Sa nature multifactorielle, combinant des éléments génétiques, environnementaux et métaboliques, rend sa compréhension ardue et justifie la nécessité de soutenir les efforts de recherche pour mieux en saisir la nature. À ce jour, seuls l’évaluation audiologique comprenant une évaluation de l’acuité auditive à l’aide des sons purs, les évaluations de la perception de la parole et certains tests électrophysiologiques impliquant l’utilisation d’électrodes peuvent donner des indices sur le type de presbyacousie. En se basant sur ces évaluations, les audiologistes peuvent orienter leur prise en charge et proposer des stratégies adaptées à chaque patient. Si les avancées technologiques actuelles ne nous permettent pas encore de déterminer avec une grande précision le type de presbyacousie chez des individus vivants, elles nous offrent néanmoins une perspective sur ses manifestations et ses impacts sur la vie quotidienne des personnes qui en sont affectées.

Bien que nous ne puissions pas encore complètement prévenir la presbyacousie, une meilleure compréhension de ses mécanismes nous permet de l’aborder avec plus de sagesse et d’optimisme. Il est essentiel de continuer à sensibiliser la population à l’importance d’une bonne santé auditive tout au long de la vie, car la presbyacousie, bien qu’inhérente au processus de vieillissement, peut être influencée par des facteurs modifiables comme l’exposition au bruit, aux produits pharmaceutiques à risque et aux substances toxiques présente dans notre environnement. En somme, la connaissance, la prévention et l’éducation sont nos meilleurs outils pour faire face à la réalité auditive du vieillissement.

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