La presbyacousie
Connaissez-vous une personne dans votre entourage, adulte ou aînée, qui rencontre des difficultés auditives et qui éprouve des difficultés à comprendre la parole ? Si c’est le cas, il est possible que cette personne souffre de presbyacousie. Ce problème très courant est souvent mal compris ou même ignoré des personnes qui en sont atteintes. Dans cet article, nous explorerons la presbyacousie, son impact sur l’audition et sur la vie des personnes qui en souffrent, ainsi que les approches de prévention et de traitement.
- Définition
La presbyacousie est une perte auditive progressive qui se produit naturellement avec l’âge. Son évolution lente fait en sorte qu’il peut être difficile pour une personne de s’apercevoir qu’elle en est atteinte. Elle impacte en premier lieu la perception des sons aigus comme le chant des oiseaux ou encore, les consonnes comme les « f » ou les « s ». Au fur et à mesure que les personnes atteintes de presbyacousie vieillissent, cette perte auditive tend à s’étendre vers les sons plus graves, entraînant ainsi des difficultés croissantes de compréhension de la parole. La presbyacousie est une surdité bilatérale et relativement symétrique, ce qui signifie qu’elle atteint les deux oreilles de façon similaire. La presbyacousie atteint davantage les hommes que les femmes, possiblement en raison d’une plus grande exposition au bruit environnemental. Sa prévalence dans la population est de 11 % chez les 44 à 54 ans, de 25 % chez les 55 à 64 ans et de 43 % chez les 65 à 84 ans. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’en 2025, environ 500 millions de personnes à travers le monde vivront des difficultés liées à la presbyacousie.
Figure 1. Ce graphique montre l’évolution de la presbyacousie selon le sexe et l’âge. L’axe horizontal « Fréquences » indique la hauteur des sons de grave (125 Hz) à aigu (8000 Hz). L’axe vertical indique le volume en décibels ajustés à l’audition humaine (dB HL). Plus le nombre de dBHL est grand, plus le volume est fort. Les lignes courbes qui traversent les graphiques (courbes audiométriques) indiquent les plus bas volumes auxquels une personne peut détecter les sons graves ou aigus en fonction de son sexe et de son âge. Ce graphique met en évidence la perte auditive liée à l’âge plus marquée chez les hommes.
Élaboré à partir de : ISO7029.
Les premiers signes de la presbyacousie peuvent s’observer dans différentes situations, par exemple, quand une personne demande souvent à son entourage de répéter, quand elle augmente le volume de la télévision au point d’incommoder ses proches ou quand elle éprouve des difficultés à comprendre ce que disent les enfants étant donné leur voix plus aigüe. D’autres manifestations peuvent inclure des difficultés de compréhension marquée en présence de bruit, dans des lieux réverbérants où l’écho tend à brouiller la parole, ou en présence de multiples locuteurs. Les personnes atteintes ne se plaindront pas nécessairement de ne pas entendre, mais bien de ne pas comprendre la parole. Les difficultés vécues par les personnes atteintes sont généralement proportionnelles au degré de leur perte auditive. Autrement dit, plus la surdité liée à l’âge est importante, plus les personnes affectées éprouveront des difficultés d’écoute. En plus des difficultés de compréhension de la parole, la presbyacousie peut entraîner des difficultés de localisation des sons environnants, ce qui peut compromettre leur sécurité.
Certaines personnes pourraient également souffrir d’acouphène puisque ce trouble est associé aux dommages des cellules ciliées de la cochlée. La presbyacousie peut également être associée à une sensibilité accrue aux sons forts. Ce phénomène se nomme généralement « hyperacousie », mais le terme précis pour désigner une augmentation de la sensibilité se produisant à la suite d’une perte auditive est « hypersonie ». Cela se produit lorsque les cellules de la cochlée qui sont chargées de traiter certains sons ne sont plus en mesure de le faire. Le travail est alors relégué aux cellules voisines, ce qui produit une augmentation de la sensibilité auditive.
Il est également courant de voir les personnes affectées réduire leurs activités sociales par peur d’être exposées à des situations où elles ne seraient pas en mesure de bien comprendre. Certaines personnes vont avoir tendance à nier leurs difficultés en jetant le blâme sur leurs interlocuteurs, en affirmant que les gens marmonnent ou qu’ils n’articulent pas bien. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la presbyacousie serait corrélée avec une diminution de la qualité de vie et avec la dépression. Les recherches portant sur les effets négatifs de la presbyacousie sur la qualité de vie indiquent que celles-ci peuvent se classer en trois catégories : les réactions émotionnelles négatives, les réactions comportementales négatives et les réactions cognitives négatives. Les réactions émotionnelles négatives impliquent le sentiment de solitude, l’isolement, la dépendance, la frustration, la dépression, l’anxiété, la colère, l’embarras et la culpabilité. Les réactions comportementales négatives incluent la feinte (faire semblant de bien entendre alors que ce n’est pas le cas), le retrait, la culpabilisation, et les exigences élevées envers soi-même et autrui. Les réactions cognitives négatives comprennent la confusion, les difficultés de concentration, les pensées distrayantes, la diminution de l’estime de soi, et les troubles de la communication.
Le vieillissement n’expliquerait pas entièrement l’apparition de la presbyacousie. En effet, une étude menée par Goycoolea (médecin otorhinolaryngologiste [ORL] et chercheur basé à Santiago au Chili) et ses collaborateurs en 1986 a révélé que la perte auditive liée à l’âge chez les habitants de l’Île de Pâques, un milieu très isolé, était nettement moins importante que celle observée chez des personnes vivant dans des environnements urbains bruyants. Samuel Rosen (professeur émérite d’ORL au Mt. Sinai School of Medecine de New York, décédé en 1981) et ses collaborateurs en 1964 avaient observé des résultats semblables auprès d’habitants d’une région éloignée du Soudan. Plusieurs facteurs sont reconnus pour contribuer au déclin des capacités auditives, y compris l’exposition au bruit, les traumatismes et les maladies de l’oreille, le tabagisme, l’hypertension, les facteurs génétiques, l’exposition à des substances ototoxiques (toxiques pour le système auditif) telles que les solvants chimiques (toluène, xylène, éthylbenzène, benzène, styrène) et l’usage de certains médicaments (antibiotiques aminoglycosides, cisplatine, les diurétiques de l’anse, agents anti-inflammatoires). Il est difficile de départager l’impact spécifique de chacun de ces facteurs sur l’audition d’une personne. Il est donc important de considérer la presbyacousie comme étant le résultat d’une combinaison de tous ces éléments. Adopter une approche préventive globale en évitant de s’exposer au bruit et en demandant conseil à son médecin ou son pharmacien avant d’entreprendre un traitement pharmaceutique s’avère être une stratégie judicieuse pour prévenir les troubles auditifs.
Le meilleur moyen de vérifier si une personne est atteinte de surdité est de passer une évaluation audiologique auprès d’un audiologiste. Pour diagnostiquer la surdité, les principaux tests sont l’audiométrie tonale et l’évaluation des capacités de reconnaissance de la parole. L’audiométrie tonale permet de déterminer le volume sonore minimal auquel une personne est capable d’entendre des graves, moyens et aigus. Les fréquences typiquement testées sont 250, 500, 1000, 2000, 3000, 4000, 6000 et 8000 Hertz, ce qui correspond à l’étendue des sons utiles à la perception de la parole. L’évaluation des capacités de reconnaissance de la parole peut se réaliser de plusieurs façons soit en répétant des mots ou des phrases présentés à différents volumes, dans le silence ou en présence de bruit compétitif. Des tests complémentaires tels que l’évaluation des otoémissions acoustiques pour valider la réponse des cellules ciliées de la cochlée et les potentiels évoqués du tronc cérébral pour évaluer la réponse du nerf auditif peuvent également être réalisés. Il est généralement recommandé de procéder à un dépistage auditif annuellement à partir de l’âge de 60. Si ce dépistage s’avère positif, une évaluation audiologique auprès d’un audiologiste est indiquée. Le questionnaire suivant peut servir de bon point de départ pour aider une personne à savoir si une évaluation audiologique serait à considérer.
Figure 6. Version française du questionnaire Hearing Handicap Inventory for the Elderly Screening (HHIE-S).
Source : Duchêne J, Billiet L, Franco V, Bonnard D. Validation of the French version of HHIE-S (Hearing Handicap Inventory for the Elderly – Screening) questionnaire in French over-60-year-olds. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis. 2022 Aug;139(4):198-201. doi: 10.1016/j.anorl.2021.11.003. Epub 2021 Dec 9. PMID : 34895850.
Prothèses auditives
L’utilisation de prothèses auditives est la méthode la plus courante pour traiter la presbyacousie. Les prothèses auditives sont conçues pour restaurer l’audibilité des sons de la parole et pour améliorer les capacités de perception des sons de l’environnement. Toutefois, leur utilisation comporte quelques inconvénients. En effet, le son qu’elles produisent n’est pas identique au son qui est perçu normalement avec des oreilles saines. L’habituation à leur sonorité et à la sensation d’avoir des embouts dans les oreilles peut exiger une période d’adaptation allant de quelques semaines à quelques mois. Le coût des prothèses peut également être prohibitif. Enfin, la dimension esthétique peut être un facteur important pour certains utilisateurs. Les modèles les plus discrets pourraient ne pas être assez puissants pour compenser des presbyacousies plus importantes. La Régie de l’assurance maladie du Québec peut assurer l’achat d’une seule prothèse auditive pour les personnes retraitées. La presbyacousie étant une surdité bilatérale, celle-ci requiert un appareillage bilatéral pour être adéquatement compensée. Or, la deuxième prothèse doit être achetée séparément par la personne qui répond aux critères de la RAMQ et qui désire obtenir un appareillage bilatéral.
Aides de suppléance à l’audition
Les aides de suppléance à l’audition représentent une gamme d’appareils disponibles par l’intermédiaire de la RAMQ, sous certaines conditions, tout en étant également disponibles en vente libre. Parmi ces aides, on retrouve les systèmes de transmission de son pour l’écoute télévisuelle. Ces dispositifs permettent à une personne souffrant de surdité d’écouter la télévision à un volume adapté à ses besoins, sans pour autant perturber son entourage. On retrouve également l’amplificateur personnel qui fonctionne en quelque sorte comme un microphone portable : l’individu peut l’emporter partout et le diriger vers ses interlocuteurs pour bénéficier d’une amplification sonore directement dans ses oreilles. Il y a aussi les amplificateurs téléphoniques qui apportent un volume sonore supplémentaire pour les combinés de téléphones fixes ou mobiles. On retrouve aussi les appareils dédiés au contrôle de l’environnement qui sont spécialement conçus pour intensifier des sonneries d’alerte domestiques, telles que la sonnette de porte ou le détecteur de fumée. Enfin, il existe une grande variété d’aides de suppléance à l’audition en fonction des différents besoins des personnes atteintes de presbyacousie ou de surdité de tout autre nature. Le meilleur moyen de savoir quel type d’appareil conviendrait à une personne est de se renseigner auprès d’un ou d’une audiologiste.
Stratégies de communication
Les stratégies de communication, accessibles à tous, présentent le grand avantage d’être gratuites. Pour prévenir les obstacles à la communication, une personne souffrant de presbyacousie pourrait choisir de minimiser les sources de bruit ou de s’éloigner de celles-ci avant de démarrer une conversation. Un bon positionnement face à son interlocuteur, en évitant les contrejours, non seulement optimise la réception auditive, mais facilite également la lecture labiale. Si elle se sent à l’aise, cette personne peut sensibiliser ses interlocuteurs à ses défis auditifs, les invitant ainsi à ralentir leur débit de parole, à articuler plus clairement ou à reformuler leurs messages en termes plus simples si nécessaire. En fin de compte, ces stratégies de communication sont aussi pertinentes pour la personne malentendante que pour son entourage. De plus, l’adaptation de l’environnement s’inscrit parmi les meilleures démarches à suivre, comme la réduction des sources de bruit ou le choix de lieux de rencontre plus calmes.
Implant cochléaire
En cas de presbyacousie à un degré avancé, l’implant cochléaire représente une alternative pertinente. Toutefois, la surdité de l’individu doit être classifiée entre sévère et profonde. De plus, il est primordial que la personne n’ait pas subi une privation auditive prolongée. Une absence d’audition sur une période de plusieurs années conduit en effet à des changements au niveau du cerveau, réduisant ainsi la probabilité de succès post-implantation. Généralement, l’option de l’implant cochléaire est envisagée lorsque les appareils auditifs traditionnels ne parviennent plus à soutenir efficacement l’individu dans sa vie quotidienne. L’implantation est un engagement sérieux. Après l’opération, le patient doit se soumettre à un programme intensif de réadaptation auditive pendant plusieurs mois afin de restaurer ses compétences auditives. Cette procédure est rigoureuse, elle nécessite une évaluation approfondie des personnes candidates et la collaboration d’une équipe multidisciplinaire de professionnels de santé. Il est à noter que le son produit par l’implant peut être inhabituel et demande une phase d’adaptation importante. Les perspectives de succès sont souvent meilleures pour les jeunes patients. Les candidats plus âgés, bien qu’ils puissent bénéficier de cette technologie, doivent présenter un pronostic favorable. Les éléments clés sont la détermination à améliorer sa qualité de vie et la volonté de s’engager pleinement dans le processus intensif de réadaptation.
6. Où en sommes-nous sur le plan des avancées scientifiques ?
Depuis des décennies, des efforts de recherche sont déployés pour stimuler la régénération des cellules endommagées de l’oreille interne. Toutefois, ces techniques ne sont toujours pas applicables à l’humain. La recherche se penche également sur la mise au point de molécules qui seraient en mesure de protéger l’oreille interne contre les effets négatifs des substances ototoxiques. L’évolution des technologies relatives à l’implant cochléaire permet peu à peu d’élargir les critères de sélection pour les personnes atteintes de surdité importante. Le développement constant des technologies de prothèses auditives permet également d’améliorer les performances de ces appareils dans des contextes d’écoute reconnus pour être difficilement compensés par les prothèses comme l’écoute en présence de bruit compétitif. Les instances gouvernementales sont désormais plus préoccupées par les problèmes de surdité recensés dans les écrits scientifiques. Or, des efforts sont déployés pour augmenter les exigences quant à la sécurité auditive des travailleurs et de la population en général, notamment par la réglementation des niveaux maximums d’exposition au bruit.
7. Conclusion
La presbyacousie est une réalité incontournable dans notre société vieillissante. Ses manifestations, allant de la simple difficulté à discerner des sons aigus à une surdité plus profonde, bouleversent non seulement la vie quotidienne des personnes atteintes, mais influencent également leurs interactions sociales, leur vie émotionnelle et leurs capacités cognitives. Il est essentiel de reconnaître que derrière chaque personne éprouvant des problèmes d’audition se cache des défis uniques et des émotions complexes. Les solutions proposées, bien que variées et en constante évolution, exigent une approche individualisée. Des prothèses auditives à l’implant cochléaire, en passant par des aides de suppléance à l’audition, chaque intervention doit être soigneusement adaptée aux besoins spécifiques des personnes. Par ailleurs, au-delà des traitements médicaux et technologiques, l’importance de l’implication des proches et des stratégies de communication ne peut être négligée. Une prise de conscience globale de cette problématique, combinée à une volonté collective de recherche, d’innovation et de soutien, s’avère indispensable pour améliorer la qualité de vie des personnes touchées par la presbyacousie.
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