Nous sommes heureux de vous présenter les résultats d’une nouvelle étude récemment publiée dans le journal Annals of the New York Academy of Science. Cet article scientifique est le fruit du travail rigoureux de Pascale Tremblay, directrice du laboratoire, Lydia Gagnon, ancienne auxiliaire de recherche de notre laboratoire, Edith Durand, orthophoniste et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), ainsi que Joël Macoir, professeur à l’école des sciences de la réadaptation de l’Université Laval. 

Introduction

La fluence verbale est une tâche utilisée en orthophonie et en neuropsychologie, qui consiste à générer des mots rapidement en fonction de règles spécifiques. Ces règles peuvent être, entre autres, de nature phonémique (basé sur les sons de la parole) ou de nature sémantique (basé sur une catégorie d’objets ou d’items). Voici deux exemples de consignes pour réaliser ce type de tâche :

  1. Nommez le plus de mots possible qui commencent par le son /p/ en 60 secondes (contrainte phonologique)
  2. Nommez le plus d’animaux possible en 60 secondes (contrainte sémantique)

Si vous testez vous-même cette tâche, vous constaterez qu’elle peut être plus difficile qu’elle n’y paraît. En effet, la fluence verbale mesure plusieurs habiletés langagières et cognitives :

  1. L’accès lexical, c’est-à-dire la capacité à accéder aux mots connus emmagasinés dans notre cerveau ;
  2. La mémoire de travail, qui permet de retenir temporairement et de manipuler différents items en mémoire ;
  3. L’inhibition, qui permet entre autres d’éviter la répétition d’items déjà produits et la production de mots qui ne respectent pas les consignes ;
  4. La flexibilité cognitive, qui permet de nous ajuster aux différentes règles et contraintes dans une tâche.

(Pour en savoir plus sur les fonctions cognitives, consultez notre article: Les fonctions cognitives).

Certaines personnes utilisent spontanément des stratégies pour favoriser la recherche de mots. Par exemple, dans une tâche de fluence verbale sémantique, ils organisent leurs réponses par sous-catégories (p.ex. animaux de la ferme, animaux de la savane). D’autres personnes utilisent la parole autodirigée (se parler à soi-même) pour tenter de générer des idées.

Les erreurs commises lors de cette tâche peuvent être classées dans différentes catégories. Dans le cadre de notre étude, trois types d’erreurs ont été mesurés :

  1. Les erreurs d’intrusion, lorsqu’une personne nomme un mot qui n’appartient pas à la catégorie demandée ;
  2. Les erreurs de répétition, lorsqu’une personne redonne une réponse déjà énoncée ;
  3. Les non-mots, c’est-à-dire la production de mots inexistants, sans signification.

Cette tâche complexe est particulièrement intéressante à étudier, car elle peut mesurer les changements dans les habiletés cognitives et langagières qui surviennent au cours du vieillissement normal et pathologique [1-2]. Par exemple, une étude récemment publiée par Dr Joël Macoir et Dr Carol Hudon, professeurs à l’Université Laval, a montré que les personnes vivant avec un trouble cognitif léger produisaient moins de bonnes réponses en fluence verbale que des individus ayant une bonne santé cognitive [2-3]. 

Figure 1. Extrait de la performance d’un participant ou d’une participante, et analyse de la performance

Notre étude

Notre étude visait à explorer l’impact du vieillissement sur la performance lors de tâches de fluence verbale et les facteurs potentiellement protecteurs. Plus spécifiquement, cette étude cherchait à répondre aux questions suivantes :

Les adultes plus âgés produisent-ils davantage de paroles autodirigées pendant les tâches de fluence verbale que les personnes plus jeunes ? Est-ce utile ?

Est-ce que les aînés hésitent davantage ?

Font-ils des erreurs de nature similaire aux jeunes adultes ?

Y a-t-il certains facteurs de protection associés à une meilleure fluence verbale chez les adultes plus âgés?

Méthodologie

144 personnes âgées de 20 à 87 ans ont été recrutées dans la communauté. Quatre tâches de fluence verbale ont été réalisées, dont trois de nature phonémique (mots qui débutent par la lettre T, N ou P) et une de nature sémantique (catégorie des animaux). Une analyse des réponses correctes, des erreurs et hésitations, ainsi que de la parole autodirigée a été réalisée. L’équipe s’est également intéressée à huit facteurs pouvant être associés à une meilleure performance à cette tâche :

  1. La pratique du chant choral ;
  2. Le niveau d’éducation ;
  3. Le niveau cognitif général ;
  4. Le multilinguisme ;
  5. L’attitude positive ;
  6. L’état de santé général autorapporté ;
  7. La participation sociale ;
  8. L’audition.

Résultats principaux

Effet de l’âge sur la performance

En moyenne, la performance à la tâche de fluence sémantique était plus faible chez les individus âgés que chez les jeunes. Pour la tâche de fluence phonologique, les femmes âgées avaient une performance supérieure à celle des jeunes femmes. De manière générale, les personnes plus âgées produisaient plus souvent des erreurs de type « répétition » que les jeunes adultes, alors qu’aucune différence n’a été observée entre les participants jeunes et âgés pour les erreurs de type « intrusion » ou « non-mots ».

Utilisation de la parole autodirigée

Les personnes d’âge moyen étaient moins susceptibles de produire de la parole autodirigée que les personnes plus jeunes ou plus âgées. En moyenne, les personnes qui produisaient davantage de paroles autodirigées avaient un plus faible nombre de bonnes réponses durant les tâches.

Facteurs de protection (figure 2)

Les analyses révèlent que la performance en fluence verbale était généralement plus élevée pour les personnes qui…

  • Détenaient une éducation de niveau post-secondaire
  • Présentaient un niveau cognitif général plus élevé
  • Participaient à des activités de chant choral

De plus, les personnes âgées qui présentaient une meilleure acuité auditive réussissaient mieux la tâche que les adultes plus jeunes. Les résultats montrent aussi que l’âge influence différemment la performance selon le nombre de langues parlées. Chez les monolingues et bilingues : en vieillissant, la performance tend à s’améliorer légèrement. Chez les multilingues (3 langues ou plus) : c’est l’inverse – en vieillissant, la performance tend à diminuer légèrement.

Figure 2. Résumé des associations trouvées entre les facteurs de protection et la performance à la fluence verbale. Alors que certaines associations s’appliquent en moyenne à toutes les personnes participantes, d’autres varient en fonction de l’âge du participant.

Que retenir de cette étude?

La parole autodirigée et la répétition d’une même réponse sont plus fréquentes chez les aînés lors de tâches de fluence verbale. Ces comportements peuvent refléter des difficultés à ignorer des idées déjà visitées, mais pourraient aussi constituer des stratégies pour rester concentrés et engagés dans cette tâche exigeante.

Certaines caractéristiques, comme un niveau d’éducation post-secondaire, des capacités cognitives élevées, la pratique du chant choral ou une bonne audition, sont liées à de meilleures performances. Cependant, aucune de ces caractéristiques prises de manière isolée ne suffit à prévenir le déclin lié à l’âge de la performance. Il est donc plus probable qu’une combinaison de plusieurs facteurs permette de maintenir les compétences langagières et cognitives avec le passage du temps.

Vous pouvez consulter l’article scientifique complet ici : 

Exploring Factors Affecting Verbal Fluency in Healthy Aging

Références :

[1] Kempler, D., E.L. Teng, M. Dick, et al. (1998). The effects of age, education, and ethnicity on verbal fluency. J Int Neuropsychol Soc. 4: 531-538.

[2] Strauss, E.H., Sherman, E. M., & Spreen, O. (2006). A compendium of neuropsychological tests: Administration, norms, and commentary. University Press. New York: Oxford.

[3] Macoir, J., & Hudon, C. (2025). Normative data for the verb fluency test in the adult French-Quebec population and validation study in mild cognitive impairment. Applied neuropsychology. Adult32(3), 646–652.