Texte 3 de 3 de la série sur le cerveau humain.
 

Dans les deux premiers billets de cette série, nous avons discuté de l’anatomie du cerveau humain, et plus largement, de l’anatomie du système nerveux central (SNC). Dans ce troisième et dernier billet, nous discutons de l’organisation fonctionnelle du cerveau, soit la façon dont le cerveau est organisé pour remplir ses différentes fonctions, comme traiter les informations en provenance des récepteurs sensoriels (p. ex. les oreilles, les yeux, etc.) ou contrôler les mouvements du corps.

Une grande partie des fonctions du cerveau sont régies par le cortex cérébral. Au cours de son développement, le cortex forme des replis que l’on nomme « gyrus » (ou gyri au pluriel). Ces gyri sont séparés par des rainures plus ou moins profondes. Les plus profondes portent le nom de « fissure » tandis que les moins profondes se nomment « sillon ». Si on le dépliait complètement, le cortex cérébral occuperait une surface d’environ 2600 cm2, soit environ un carré de la taille d’un échiquier! Le cortex est divisé en plusieurs dizaines de régions (ou aires) sur la base de leurs fonctions. On peut regrouper ces régions en trois grandes catégories : sensorielles, motrices et associatives. Pour faciliter l’identification et l’emplacement des aires, une numérotation a été développée il y a plus de 100 ans, toujours utilisée aujourd’hui. Cette carte du cortex, illustrée à la figure 1, porte le nom d’aires de Brodmann, nom de son créateur. Les régions sont numérotées en fonction de leur structure interne. En effet, les régions ayant différents types de fonctions (sensorielles, motrices et associatives) ont une architecture cellulaire différente. C’est-à-dire qu’elles contiennent différents types de neurones, et leur connectivité est également différente. Les aires décrites dans ce billet seront accompagnées de leur numérotation entre parenthèses et feront référence aux aires de Brodmann.

Figure 1. Illustration des aires de Brodmann de la vue latérale et médiale de l’hémisphère gauche. Adapté de Brodmann areas par Vysha sous licence CC0 1.0.

Les aires sensorielles

Les aires sensorielles, comme leur nom l’indique, reçoivent les influx nerveux sensoriels provenant des récepteurs sensoriels du corps (yeux, oreilles, nez, doigts), et jouent un rôle dans la sensation et la perception. Les informations sensorielles sont acheminées par les voies ascendantes, relayées par le thalamus (excepté pour l’odorat) et transmises vers les aires sensorielles dites « primaires ». On distingue en effet deux types d’aires sensorielles, les aires primaires et les aires secondaires. Les aires sensorielles primaires sont la porte d’entrée de l’information sensorielle dans le cerveau. Les aires primaires effectuent un premier traitement de l’information sensorielle, alors que les aires sensorielles secondaires effectuent un deuxième niveau de traitement, plus fin. On distingue plusieurs aires sensorielles primaires :

1. L’aire somatosensorielle primaire (aires 1, 2 et 3). Cette aire se situe à l’arrière du sillon central de chaque hémisphère cérébral, dans le lobe pariétal (Figure 1). Cette aire reçoit les influx nerveux de plusieurs types de récepteurs sensoriels, dont les récepteurs du toucher (les mécanorécepteurs), les récepteurs de la douleur (les nocicepteurs) et de la température (les thermorécepteurs) situés partout sur le corps. Chaque région du corps est représentée dans l’aire somatosensorielle primaire. La taille de cette représentation ne dépend pas de la taille de chaque partie du corps, mais du nombre de récepteurs sensoriels que contient chaque région du corps. Par exemple, les doigts et la bouche, qui contiennent beaucoup de récepteurs (et qui sont d’ailleurs hautement sensibles et ont des fonctions spécialisées), occupent une plus grande surface corticale que les hanches, qui sont pauvres en récepteurs. Ainsi, l’aire somatosensorielle primaire contient une sorte de carte du corps (souvent appelée « homoncule ») qui lui permet d’identifier avec précision l’origine d’un stimulus. Une représentation de cette carte est présentée à la figure 2. Une lésion dans l’aire somatosensorielle primaire entraîne une altération ou une perte des sensations liées au toucher ou à la douleur.

Figure 2. Illustration de l’homoncule sensoriel adapté de 1421 Sensory Homunculus par OpenStax College sous licence CC BY 3.0 (Traduction).

2. L’aire visuelle primaire (aire 17). Cette aire est située à l’extrémité postérieure du lobe occipital et reçoit l’information en provenance des yeux. Elle contribue à identifier la forme et la couleur des objets qui nous entourent. Ainsi, une lésion dans cette aire entraîne inévitablement une perte de vision dans une portion du champ visuel.

3. L’aire auditive primaire (aire 41). L’aire auditive primaire se situe dans la partie supérieure du lobe temporal, dans une région que l’on nomme le gyrus transverse temporal ou le gyrus de Heschl (Figure 3). Elle reçoit toute l’information auditive provenant des oreilles, incluant celle liée à la parole, et contribue à déterminer l’intensité et la hauteur d’un son (grave ou aigu). Elle est aussi impliquée dans le traitement de la structure temporelle des sons, comme leur rythme. Une lésion dans l’aire auditive primaire peut entraîner la surdité.

Figure 3. Illustration 3D du cerveau et du gyrus de Heschl (Transverse temporal gyrus) par Daniel Sabinasz sous licence CC BY-SA 4.0.

4. L’aire gustative primaire (aire 43). Cette aire est située juste en dessous de l’aire somatosensorielle primaire, dans le lobe pariétal. Elle reçoit ses informations des papilles gustatives de la langue et contribue ainsi à la perception des sensations gustatives (le goût). En plus de la langue, l’aire gustative reçoit des informations provenant du larynx, principalement de l’épiglotte. Les récepteurs du larynx ne joueraient pas un rôle dans le goût, mais plutôt dans la détection de certaines substances chimiques et du passage de l’eau, en lien avec le rôle du larynx dans la protection des voies respiratoires lors de l’alimentation. Outre un dysfonctionnement du goût, une lésion au niveau du cortex gustatif est généralement associée à d’autres problèmes neurologiques, comme la maladie de Lyme.

5. L’aire olfactive primaire (aire 28). À la différence des autres aires sensorielles primaires, l’aire olfactive primaire n’est pas située à la surface du cortex, mais à l’intérieur de celui-ci, au creux du lobe temporal, situé près de l’amygdale et du gyrus parahippocampique. Elle reçoit les informations olfactives captées par le nez et contribue à la perception des odeurs. Une lésion dans l’aire olfactive primaire peut ainsi conduire à une perte de l’odorat. Certaines maladies peuvent également attaquer le système olfactif. Par exemple, le virus du SARS-CoV-2 (COVID-19) s’attaque à une protéine essentielle à l’intégrité et au bon fonctionnement des neurones sensoriels du nez, causant la perte d’odorat.

Les aires motrices

Les aires motrices sont impliquées dans la préparation, le déclenchement et l’exécution des mouvements. À l’inverse des aires sensorielles, les commandes motrices proviennent de la partie antérieure (frontale) du cortex. Comme pour les aires sensorielles, on distingue l’aire motrice primaire des aires motrices secondaires. L’aire motrice primaire est principalement chargée de contrôler la force et la durée des contractions musculaires. Elle est chargée d’envoyer les commandes aux muscles pour l’exécution des mouvements. Les aires prémotrices sont notamment impliquées dans l’intégration d’information cognitive et sensorielle. Cette intégration permet à ces aires de planifier les actions, notamment celles qui sont guidées par les sens, comme la capacité à saisir un objet et à le soulever. Cette section portera sur les principales aires motrices.

1. L’aire motrice primaire (aire 4). Cette aire, impliquée dans les contractions volontaires et précises des muscles, est située dans le lobe frontal, à l’avant du sillon central. Elle est donc adjacente à l’aire somatosensorielle primaire et partage plusieurs similitudes avec cette aire. Ainsi, chaque muscle du corps est contrôlé par une région distincte de l’aire motrice primaire. La taille de la région qui commande un muscle n’est pas proportionnelle à sa taille, mais à sa précision. Par exemple, la région qui commande les muscles des doigts —lesquels doivent effectuer des mouvements précis et complexes— est plus grande que la région qui commande les muscles des jambes, dont les mouvements sont moins précis et complexes.

2. Le cortex prémoteur (aire 6). Le cortex prémoteur est adjacent à l’aire motrice primaire, avec laquelle il communique. Le cortex prémoteur peut être représenté comme une mosaïque de plusieurs aires. Les fonctions de cette région sont habituellement décrites de façon distincte pour ses portions latérales (sur le côté) et médianes (au milieu). Les aires prémotrices latérales et médianes seraient impliquées dans la sélection d’un mouvement. Toutefois, les aires prémotrices latérales seraient spécialisées dans l’initiation de mouvements sur la base des signaux externes (p. ex. en réaction à un événement se produisant dans l’environnement), tandis que les aires prémotrices médianes préparent les mouvements selon des signaux internes (p. ex. en lien avec la volonté de se déplacer d’un point A à un point B).

3. L’aire oculomotrice frontale (aire 8). Située dans le lobe frontal entre le cortex prémoteur et le cortex préfrontal, l’aire oculomotrice est impliquée dans les mouvements volontaires des yeux. Elle est en outre responsable des mouvements de balayage des yeux.

Les aires associatives

On distingue deux types d’aires associatives, soit les aires associatives unimodales et multimodales. Les aires associatives unimodales permettent d’intégrer différentes informations liées à une même modalité sensorielle (p. ex. différentes caractéristiques visuelles comme la couleur, la forme et le mouvement). Elles incluent les aires dites secondaires. Une même modalité sensorielle, comme la vision, peut être associée à plusieurs aires associatives unimodales. Les aires associatives multimodales sont de larges aires corticales impliquées dans l’intégration d’information en provenance de plusieurs modalités et dans des fonctions plus complexes, qu’on dit parfois de plus haut niveau que les aires sensorielles et motrices, incluant la mémoire, les émotions, le jugement, l’intelligence et le langage. Quelques aires associatives sont décrites ici-bas :

1. Les aires visuelles associatives (aires 18 et 19). Au nombre de quatre (V2 à V5, V1 étant l’aire visuelle primaire), les aires visuelles associatives sont situées dans le lobe occipital, à côté de l’aire visuelle primaire. La division des aires visuelles associatives, et plus généralement des aires visuelles, est basée sur la fonction et la structure de ces aires. V2 reçoit les informations de l’aire visuelle primaire et répondrait entre autres à des différences de couleurs, à des motifs d’une complexité moyenne et à l’orientation d’un objet. Les informations traitées au niveau de V2 sont ensuite acheminées vers les aires V3, V4 et V5, qui sont spécialisées dans le traitement plus fin de différents aspects visuels, dont la reconnaissance d’objet.

2. Le cortex auditif associatif (aires 22 et 42). Le cortex auditif associatif, aussi appelé cortex auditif secondaire, comprend les aires associatives liées à l’audition. Comme pour les aires visuelles, les aires auditives ont plusieurs sous-divisions. La première région recevant l’information auditive est l’aire auditive primaire alors que les autres sont les aires auditives associatives. Les aires auditives associatives sont situées en dessous et à l’arrière de l’aire auditive primaire. Elles sont impliquées notamment dans le traitement phonologique des sons, incluant leur identification (p. ex. distinguer le son /p/ du son /b/).

3. L’aire somatosensorielle associative (aires 5 et 7). Directement située à l’arrière de l’aire somatosensorielleprimaire, l’aire somatosensorielle associative reçoit des informations de l’aire somatosensorielle primaire, mais également du thalamus et d’autres régions de l’encéphale. Alors que l’aire somatosensorielle primaire permet de capter une information brute, par exemple la présence d’un objet entre deux doigts, l’aire associative est impliquée dans l’identification de cet objet par une mémoire spatiale et tactile contenant les expériences sensorielles passées. L’aire somatosensorielle associative est liée à l’amygdale ainsi que l’hippocampe, une structure complexe notamment associée à la consolidation de la mémoire et la prise de décision. Ces connexions permettent d’intégrer, au niveau de l’aire somatosensorielle associative, l’information sensorielle aux expériences passées emmagasinées. Ainsi, l’aire associative reçoit, traite et intègre les informations sensorielles de notre environnement à nos expériences sensorielles passées.

4. Le cortex préfrontal (aires 9, 10, 11 et 12). Le cortex préfrontal est formé de plusieurs aires occupant tout l’avant du lobe frontal, au niveau du front. Le cortex préfrontal est impliqué dans des fonctions variées. Il est en communication avec d’autres régions du cortex, mais aussi avec le thalamus et le cervelet, entre autres. C’est une région qui est hautement développée chez tous les primates, mais surtout chez les humains. Le cortex préfrontal est ainsi le siège principal de la personnalité, de l’intelligence, de l’apprentissage, du jugement, de la conscience, de la prise de décision, de l’humeur et bien d’autres fonctions. Les lésions de cette région peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur ces fonctions.

5. Cortex pariétal postérieur (aires 5, 7, 39 et 40). Cette aire, elle aussi constituée de plusieurs sous-divisions, est située au niveau du lobe pariétal. Cette région intègre des informations de différentes régions du cerveau. Elle reçoit ainsi des informations provenant des aires associatives, soit l’aire somatosensorielle, les aires visuelles et les aires auditives, mais également de deux aires sensorielles primaires, l’aire gustative et l’aire olfactive, du thalamus et même de certaines régions du tronc cérébral. Cette intégration multimodale est utile notamment pour interpréter et réagir à des phénomènes complexes multimodaux (comme la parole, qui est à la fois visuelle et auditive) et guider la prise de décision.

6. Les aires du langage (p. ex. : aires 6, 8, 22, 40, 44). Les avancées en neuroscience cognitive ont révélé que le langage est soutenu par un réseau très complexe, et que la vision simplifiée selon laquelle le langage est soutenu par deux aires (les aires de Broca et Wernicke) n’est plus adéquate. En effet, on trouve des aires associées au langage dans tous les lobes du cortex cérébral. Les fonctions langagières impliquent, entre autres, le gyrus frontal inférieur pars opercularis du lobe frontal, le cortex prémoteur, l’aire motrice supplémentaire, le cortex préfrontal, le gyrus supramarginal du lobe pariétal, le lobe temporal antérieur, et les aires auditives. Ces régions, connectées entre elles par plusieurs faisceaux d’association, dont le faisceau arqué et le faisceau unciné, sont impliquées dans la compréhension et la production du langage oral ou écrit.

Nous vous avons maintenant passé en revue plusieurs aires du cortex cérébral, ainsi que leurs fonctions. Comme vous pouvez le constater, l’organisation du cerveau est complexe et fascinante !

C’est ainsi que cette série de billets fournissant une idée globale de l’organisation anatomique et fonctionnelle du cerveau se conclut. Dans une prochaine série, nous aborderons différentes fonctions cognitives, soit l’attention, la mémoire de travail, les fonctions exécutives et le langage. Cette nouvelle série abordera aussi l’effet du vieillissement sur ces fonctions.

Ouvrages de référence ayant servi à la rédaction de ce billet de blogue :

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