Nouvel article scientifique sur les liens entre la pratique d’activités musicales et les fonctions exécutives
Nous sommes heureux de vous présenter les résultats d’une étude portant sur les bénéfices de la pratique d’activités musicales sur la cognition, s’intégrant dans notre grand projet de recherche nommé PICCOLO (Pratique d’un Instrument ou du Chant sur la COgnition, le Langage et l’Organisation cérébrale).
Pour fonctionner dans notre vie de tous les jours et réaliser les tâches de notre quotidien, des plus complexes aux plus simples, nous avons besoin d’un ensemble de processus cognitifs appelés fonctions exécutives. Ces fonctions permettent aux personnes de coordonner, d’organiser puis d’ajuster leurs actions et pensées afin d’atteindre un objectif, comme c’est le cas lorsqu’il faut planifier un itinéraire, résoudre un problème inattendu ou inhiber une réponse impulsive.
Malheureusement, ces fonctions déclinent avec le vieillissement. Certaines études soulignent toutefois une association positive entre la pratique de certaines activités de loisir, comme la pratique d’une activité musicale, et les fonctions exécutives. Ceci pourrait représenter une voie de rééducation des fonctions exécutives chez les personnes âgées. Cependant, les liens entre la pratique d’activités musicales et les fonctions exécutives ne sont pas encore bien connus. Plusieurs questions demeurent ainsi sans réponse, incluant celles-ci :
- Est-ce que la pratique de différentes activités musicales est associée à des bénéfices exécutifs distincts ?
- Est-ce que l’étendue de l’expérience musicale influence l’ampleur des bénéfices exécutifs ?
L’étude que nous vous présentons ici, publiée en 2024 dans la revue américaine Annals of the New York Academy of Sciences, s’intéresse à ces questions. Elle s’inscrit plus largement dans notre projet de recherche PICCOLO (si vous souhaitez en savoir plus sur ce projet de recherche, consultez cet article). L’objectif de l’étude était de comparer quatre fonctions exécutives chez des chanteurs et des instrumentistes amateurs, ainsi que chez des personnes impliquées dans des activités cognitivo-motrices non musicales, en fonction de leur âge. De plus, l’équipe a cherché à savoir si le type d’activité musicale et l’étendue de l’expérience musicale entraînaient des différences significatives sur les fonctions exécutives. L’étude a été menée par une équipe multidisciplinaire sous la direction de Pascale Tremblay, directrice du laboratoire. Elle réunissait également Marilyne Joyal, Alexandre Sicard, doctorant au laboratoire, ainsi que Virginia Penhune et Philip Jackson, collaborateurs du laboratoire et professeurs respectivement au département de psychologie de l’Université Concordia et à l’École de psychologie de l’Université Laval.
Les fonctions exécutives
L’équipe s’est intéressée à quatre fonctions exécutives spécifiques, dont l’implication dans la pratique d’activités musicales a déjà été démontrée dans la littérature scientifique.
- La vitesse de traitement désigne le rythme auquel un individu mobilise les processus cognitifs nécessaires pour analyser rapidement une information provenant de l’extérieur.
- L’attention sélective auditive correspond à la capacité d’une personne à ne sélectionner qu’une source sonore tout en ignorant les autres.
- Le contrôle inhibiteur auditif et visuel permet de filtrer et d’ignorer certains stimuli auditifs et visuels non pertinents.
- La mémoire de travail verbale est la capacité à maintenir temporairement en mémoire une information verbale et à la manipuler.
Les hypothèses de recherche
Notre équipe a formulé quatre hypothèses de recherche :
- Les capacités exécutives seraient plus faibles chez les adultes plus âgés que chez les adultes plus jeunes.
- Les personnes pratiquant une activité musicale présenteraient globalement de meilleures fonctions exécutives que des individus actifs ne pratiquant pas d’activité musicale.
- La pratique musicale serait associée à une diminution de l’effet de l’âge sur les fonctions exécutives.
- L’étendue de l’expérience musicale expliquerait davantage l’association entre les capacités exécutives et la pratique musicale que le type d’activités musicales pratiqué.
Afin de tester ces quatre hypothèses, 122 personnes âgées de 20 à 88 ans, réparties en trois groupes, ont été recrutées.
La méthodologie
La sélection des personnes participantes et la constitution des groupes à l’étude sont présentées dans la figure 1. Un élément clé de la recherche est que les trois groupes de participants étaient équivalents en termes d’âge, de sexe biologique, de niveau d’éducation, du nombre de langues parlées, de niveau cognitif global, d’engagement dans des activités sociales et physiques et d’audition. À noter également que des restrictions importantes ont été imposées lors de la sélection des participants amateurs de pratiques musicales. L’équipe s’est en effet assuré qu’une seule activité musicale était dominante pour chaque participant. Ainsi, aucun participant n’était à la fois chanteur et instrumentiste de manière égale. L’ensemble de ces exigences sur le choix des participants était nécessaire pour isoler l’effet du type d’activité sur les fonctions exécutives. À noter également que les deux groupes de participants pratiquant une activité musicale étaient comparables en termes d’années de pratique, d’intensité de pratique, mais différaient en termes d’âge de début de la pratique.

La procédure
L’ensemble des personnes participantes a été invité à réaliser une série de tests mesurant les fonctions exécutives au laboratoire. Étant donné que l’audition pouvait influencer la performance dans les tâches cognitives auditives, une évaluation auditive a été effectuée dans une salle insonorisée. Les différents tests évaluant les fonctions exécutives sont présentés à la figure 2 ci-dessous. Au total, la visite durait 3 heures (d’autres tests ont été effectués qui ne sont pas présentés ici).


Les résultats
Les résultats ont permis de confirmer, du moins en partie, nos deux premières hypothèses, mais ont infirmé les troisième et quatrième hypothèses.
Hypothèse 1 confirmée : les fonctions exécutives déclinent avec l’âge
L’étude confirme notre première hypothèse puisqu’il y aurait un effet significatif de l’âge sur certaines fonctions exécutives. Plus précisément, la vitesse de traitement et l’attention auditive diminuent significativement avec l’âge. En effet, les taux d’erreur plus élevés des personnes plus âgées lors d’une tâche du TaiL, incluant un haut niveau de distraction (tâche de discrimination des sons en fonction de la fréquence), démontrent un plus haut degré de distractibilité et une moins bonne capacité à gérer des informations conflictuelles que les plus jeunes (figures 3 et 4). Pour le contrôle inhibiteur, le temps de réaction est plus élevé chez les plus âgés, qu’ils pratiquent ou non une activité musicale. Enfin, les personnes plus âgées auraient une capacité de mémoire de travail réduite.

Hypothèse 2 partiellement confirmée : la pratique d’une activité musicale favorise les fonctions exécutives
Indépendamment de leur âge, les personnes pratiquant une activité musicale obtiennent de meilleures performances dans plusieurs tests mesurant les fonctions exécutives comparativement aux personnes ne pratiquant pas d’activité musicale. Ceci confirme notre deuxième hypothèse, avec un avantage spécifique pour les instrumentistes amateurs en ce qui concerne le contrôle inhibiteur et la résolution de conflits.
De meilleures capacités de résolution de conflits chez les chanteurs et instrumentistes amateurs
En résolution de conflits, un des concepts mesurés lors du TAiL, les chanteurs et instrumentistes amateurs ont montré de meilleures capacités de résolution des conflits que le groupe contrôle. Un léger avantage en faveur des instrumentistes amateurs est à noter, se traduisant par des taux d’erreur plus faibles que le groupe de chanteurs et le groupe contrôle. À noter que le taux d’erreur est particulièrement plus bas chez les instrumentistes amateurs dans la tâche de discrimination de sons en fonction des fréquences, tâche dans laquelle la distraction était élevée (voir la figure 4 ci-dessous).

Un meilleur contrôle inhibiteur chez les chanteurs et les instrumentistes amateurs
Les résultats aux tâches du CWIT indiquent une association positive entre la pratique musicale et le contrôle inhibiteur. Plus précisément, ils révèlent un avantage pour les individus pratiquant une activité musicale, se traduisant par des temps de réaction plus rapides chez les chanteurs et les instrumentistes, quel que soit leur âge, bien qu’il n’y ait aucun impact sur la précision des réponses.
Une meilleure mémoire de travail verbale chez les chanteurs et instrumentistes amateurs
Les résultats aux tâches mesurant la mémoire de travail (tirées de la batterie WAIS-III) suggèrent une association positive entre la pratique d’une activité musicale et la mémoire de travail verbale, avec un avantage pour les chanteurs. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les chanteurs doivent mémoriser du contenu verbal (les paroles), ce qui pourrait contribuer à soutenir leurs capacités à enregistrer de l’information en mémoire et à l’utiliser.
Seule la tâche mesurant l’attention involontaire extraite du TAiL n’a révélé aucune différence significative entre les groupes de l’étude. En effet, les chanteurs amateurs étaient significativement plus distraits que les instrumentistes et les participants du groupe contrôle, se traduisant par des temps de réaction plus élevés chez les chanteurs plus âgés (figure 3.C).
Hypothèses 3 et 4 non confirmées
Les résultats mettent en évidence que pratiquer une activité musicale amateur (chant ou instrument) ne ralentit pas le vieillissement cognitif puisqu’un seul cas d’atténuation de l’effet d’âge a été observé chez les instrumentistes amateurs lors de la tâche de résolution de conflits mesurée par le TAiL.
Concernant l’hypothèse 4, les différents résultats indiquent que l’expérience musicale à elle seule n’a pas eu d’effet significatif sur les fonctions exécutives mesurées. Par exemple, lors de la tâche d’attention involontaire extraite du TAiL, les participants plus âgés et plus expérimentés ont eu de moins bonnes performances que les participants ayant moins d’expérience. Ainsi, l’accumulation de l’expérience n’est pas toujours bénéfique pour les fonctions exécutives. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’expertise acquise par l’individu dans une compétence particulière ne peut pas toujours être transférable à une autre compétence.
De plus, concernant l’association entre le type d’activité musicale et les fonctions exécutives, bien que de légers avantages ont été suggérés en faveur des instrumentistes amateurs en termes de contrôle inhibiteur et de résolution de conflits, aucun résultat ne permet d’affirmer un avantage global en leur faveur par rapport aux chanteurs.
Conclusions
Pour conclure, cette étude identifie des bénéfices cognitifs en faveur des personnes pratiquant une activité musicale amateur par rapport à celles n’en pratiquant pas. Plus précisément, les résultats montrent que les instrumentistes amateurs possèdent des avantages ciblés en matière de fonctions exécutives, sans toutefois démontrer un avantage global. Par ailleurs, bien que la pratique musicale n’atténue pas le déclin cognitif lié à l’âge, il est essentiel de considérer son impact sur les fonctions exécutives, d’autant plus que ces activités sont largement accessibles et très répandues au Canada. C’est pourquoi approfondir notre compréhension des effets de ces activités demeure essentiel, notamment face au vieillissement de la population.
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