Qu’est-ce qu’une personne linguiste ?
Au Laboratoire des neurosciences de la parole et de l’audition, nous étudions les bases neurales de la communication humaine en utilisant une approche interdisciplinaire. Cela signifie que nous nous inspirons de théories et de méthodes provenant de plusieurs disciplines pour étudier la communication humaine, y compris la linguistique, mais aussi les sciences cognitives, les neurosciences, la psychologie, la gérontologie, la bioimagerie et les sciences informatiques ! Dans ce billet, nous explorons l’une de ces disciplines, la linguistique, pour expliquer comment celle-ci contribue à notre travail.
On demande souvent aux linguistes combien de langues ils ou elles parlent. La réponse est généralement un nombre relativement peu élevé, surtout compte tenu du fait que la personne posant la question suppose probablement que les linguistes sont tous polyglottes.
Bien que certains linguistes soient polyglottes (nous en parlerons plus tard), connaître plusieurs langues n’est pas une exigence en linguistique. En effet, les linguistes étudient la faculté de langage – c’est-à-dire le système cognitif qui nous permet d’acquérir et d’utiliser la parole ou les signes pour la communication, ainsi que la manière dont le langage est structuré dans ce système.
Les linguistes examinent la structure des langues individuelles pour mieux comprendre comment fonctionne la faculté de langage. Plus précisément, ils étudient les différentes composantes du langage, comme la phonétique (la manifestation physique des sons), la phonologie (les systèmes sonores des langues), la morphologie (la structure des mots), la syntaxe (la structure des phrases), la sémantique (le sens des mots et des phrases), et la pragmatique (dans quelle mesure le contexte de la communication contribue au sens).
Ils examinent ces composants afin d’identifier, entre autres choses :
- les schémas linguistiques possibles et impossibles à travers les langues ;
- si certains de ces schémas sont plus difficiles à apprendre que d’autres (par exemple, pour les enfants acquérant leur première langue ou pour les adultes acquérant une deuxième langue) ;
- comment les schémas dans une langue donnée changent au fil du temps (en raison de facteurs sociaux ou du contact linguistique, par exemple).
Cela permet aux linguistes et à d’autres scientifiques non seulement d’en savoir plus sur les langues qui existent (ou existaient à un moment donné) dans le monde, mais aussi d’en savoir plus sur la capacité des Homo sapiens à communiquer et à apprendre.
Alors, comment étudier la linguistique ?
Étudier la linguistique implique d’obtenir et d’analyser des données linguistiques.
L’obtention de données linguistiques peut se faire de plusieurs manières. Par exemple, les linguistes peuvent interagir avec des locuteurs d’une langue donnée et leur demander leurs intuitions sur leur langue – ces locuteurs sont alors appelés des « consultants linguistiques ». Les linguistes peuvent également utiliser des corpus déjà existants pour obtenir des données parlées, signées ou écrites. Une autre manière d’obtenir des données linguistiques est de mener des expériences linguistiques. Ici, les linguistes peuvent tester les intuitions des participants, vérifier leur perception des sons de la parole ou leur faire produire certaines structures linguistiques (par exemple, des sons, des syllabes ou des mots). Les linguistes analysent souvent les données de manière quantitative avec des modèles statistiques.
Pour étudier une langue spécifique, les linguistes doivent savoir comment cette langue fonctionne, c’est-à-dire qu’ils et elles doivent avoir une compréhension approfondie de sa phonétique, phonologie, morphologie, syntaxe, etc., afin de savoir quoi demander, quoi chercher dans un corpus et comment concevoir une expérience. Cependant, ils n’ont pas nécessairement besoin de savoir parler la langue. De nombreux linguistes parlent en fait une ou deux langues, mais en connaissent beaucoup sur des dizaines d’autres ! C’est parce qu’en linguistique, il est important de connaître la structure d’une langue donnée pour l’étudier – et nous pouvons avoir ce genre de connaissance sans parler couramment cette langue.
Une autre question que les linguistes reçoivent souvent est : « Quelle langue étudiez-vous ? ». Bien qu’il soit vrai que certains linguistes se spécialisent dans une langue particulière (comme le français) ou une famille de langues (comme les langues romanes, la famille de langues à laquelle appartient le français), la plupart des linguistes ne font pas de recherche sur une langue particulière. Ils et elles sont plutôt intéressés par un phénomène spécifique lié au langage et étudient ce phénomène à travers différentes langues. Par exemple, les phonologues peuvent se concentrer sur la réduction des voyelles – c’est-à-dire lorsqu’une voyelle est perçue comme « plus faible » en fonction de facteurs tels que sa proéminence et sa position dans le mot ; par exemple, comparez la première voyelle de « origin » en anglais (une voyelle pleine) avec la première voyelle du mot « original » toujours en anglais (une voyelle réduite, non accentuée). Les phonologues qui étudient la réduction des voyelles peuvent examiner comment ce processus fonctionne dans des langues comme l’anglais, le portugais, le russe et même des langues « mortes » comme le latin ! À noter que ce phénomène n’existe pas en français.
Maintenant que nous savons ce que font les linguistes, il est également important de mentionner où ils travaillent. Les personnes titulaires d’un diplôme en linguistique peuvent travailler dans divers métiers liés au langage. Voici quelques exemples :
- les linguistes peuvent travailler dans le domaine de la recherche, notamment dans les universités. Par exemple, notre ancienne coordinatrice de laboratoire Natália avait un doctorat en linguistique. Nathan, Valérie, Lydia et Pascale possèdent tous et toutes un diplôme de premier cycle en linguistique !
- les linguistes peuvent enseigner une langue (étrangère), former des enseignants, et développer des ressources pour l’enseignement des langues et des épreuves standardisées ;
- les linguistes peuvent également travailler comme traducteurs, interprètes, correcteurs et lexicographes (les personnes qui développent des dictionnaires) ;
- les linguistes peuvent travailler avec des langues sous-documentées ou en danger en développant des projets éducatifs, de documentation ou de revitalisation ;
- les linguistes peuvent travailler pour le gouvernement dans des postes impliquant la traduction ou l’analyse de données. Des agences fédérales comme le FBI et la CIA (aux États-Unis) et le Service canadien du renseignement de sécurité embauchent souvent des linguistes ;
- les linguistes rejoignent parfois des programmes d’études supérieures en orthophonie, neurosciences et psychologie, ainsi que des programmes d’études supérieures en linguistique ;
- les linguistes peuvent travailler dans l’industrie technologique, dans des postes impliquant la reconnaissance vocale, l’intelligence artificielle, le traitement du langage naturel et la synthèse vocale.
Bien que les linguistes ne parlent généralement pas de nombreuses langues, ils et elles partagent une passion pour comprendre comment fonctionne le langage et ce que le langage peut nous apprendre sur la cognition et le comportement social des êtres humains.
Pour aller plus loin :
- Analyses du langage parlé
- Comment créer une expérience scientifique sur le langage ?
- Découper le langage pour mieux l’étudier!
- Départ de Natália
- Différences entre la parole, le langage et la communication
- Du nouveau au labo cet automne
- La perception de la parole : une faculté complexe
- La profession d’orthophoniste
- Le français québécois comme critère d’inclusion
- Les fonctions cognitives
- Quel est l’élément le plus important de la communication ?!
- Qu’est-ce que la prosodie ?
- Qui travaille au labo ?
- Production de la voix
- Publications scientifiques